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factions réunies de Mégaclès et de Lycurgue chassèrent l’usurpateur.

LX. Ce fut ainsi que Pisistrate pour la première fois se rendit maitre d’Athènes, et qu’il fut dépouillé de la tyrannie, qui n’avait pas encore eu le temps de jeter de profondes racines. Ceux qui l’avaient chassé renouvelèrent bientôt après leurs anciennes querelles. Mégaclès, assailli de toutes parts par la faction contraire, fit proposer par un héraut à Pisistrate de le rétablir, s’il voulait épouser sa fille. Pisistrate accepta ses offres ; et, s’étant engagé à remplir cette condition, il imagina, de concert avec Mégaclès, pour son rétablissement, un moyen d’autant plus ridicule, à mon avis, que dès la plus haute antiquité les Hellènes ont été distingués des barbares comme plus adroits et plus éloignés d’une sotte crédulité, et que les auteurs de cette trame avaient affaire aux Athéniens, peuple qui a la réputation d’être le plus spirituel de la Grèce.

Il y avait à Pæonia, bourgade de l’Attique, une certaine femme, nommée Phya, qui avait quatre coudées de haut moins trois doigts, et d’ailleurs d’une grande beauté. Ils armèrent cette femme de pied en cap ; et, l’ayant fait monter sur un char, après lui avoir appris l’air et le maintien qu’elle devait prendre, ils la conduisirent dans la ville. Ils étaient précédés de hérauts qui, à leur arrivée, se mirent à crier, suivant les ordres qu’ils avaient reçus : « Athéniens, recevez favorablement Pisistrate ; Minerve, qui l’honore plus que tous les autres hommes, le ramène elle-même dans sa citadelle. » Les hérauts allaient ainsi de côté et d’autre, répétant la même proclamation. Aussitôt le bruit se répand que Minerve ramenait Pisistrate ; et les habitants de la ville, persuadés que cette femme était réellement Minerve, se prosternèrent pour l’adorer et accueillirent Pisistrate.

LXI. Pisistrate, ayant ainsi recouvré la puissance souveraine, épousa la fille de Mégaclès, suivant l’accord fait entre eux ; mais comme il avait des fils déjà grands, et que les Alcmæonides passaient pour être frappés d’une malédiction[1], ne voulant point

  1. Mégaclès, qui était archonte dans le temps de la conjuration de Cylon, en fit égorger les complices au pied des autels où ils s’étaient réfugiés. Tous ceux qui avaient eu part à ces meurtres furent regardés comme des gens abominables. Les partisans de Cylon, ayant repris des forces, étaient perpétuellement en guerre avec la famille de Mégaclès. Au fort de la sédition, et le peuple étant partagé, Solon s’avança au milieu, et persuada à ceux qu’on appela les abominables de se soumettre au jugement de trois cents des principaux citoyens. Ils furent condamnés. On bannit ceux qui étaient encore en vie ; on déterra les morts, et on jeta leurs cadavres hors des frontières de l’Attique. (L.)