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soixante-dix ans tu auras douze mois intercalaires, moins la troisième partie d’un mois, qui feront trois cent cinquante jours, lesquels, ajoutés à vingt-cinq mille deux cents, donneront vingt-cinq mille cinq cent cinquante jours. Or, de ces vingt-cinq mille cinq cent cinquante jours, qui font soixante-dix ans, tu n’en trouveras pas un qui amène un événement absolument semblable. Il faut donc en convenir, seigneur, l’homme n’est que vicissitude. Tu as certainement des richesses considérables, et tu règnes sur un peuple nombreux ; mais je ne puis repondre à ta question que je ne sache si tu as fini tes jours dans la prospérité : car l’homme comblé de richesses n’est pas plus heureux que celui qui n’a que le simple nécessaire, à moins que la fortune ne l’accompagne, et que, jouissant de toutes sortes de biens, il ne termine heureusement sa carrière. Rien de plus commun que le malheur dans l’opulence, et le bonheur dans la médiocrité. Un homme puissamment riche, mais malheureux, n’a que deux avantages sur celui qui a du bonheur ; mais celui-ci en a un grand nombre sur le riche malheureux. L’homme riche est plus en état de contenter ses désirs et de supporter de grandes pertes ; mais, si l’autre ne peut soutenir de grandes pertes ni satisfaire ses désirs, son bonheur le met à couvert des uns et des autres, et en cela il l’emporte sur le riche. D’ailleurs, il a l’usage de tous ses membres, il jouit d’une bonne santé, il n’éprouve aucun malheur, il est beau, et heureux en enfants. Si à tous ces avantages tu ajoutes celui d’une belle mort, c’est cet homme-là que tu cherches, c’est lui qui mérite d’être appelé heureux. Mais avant sa mort, suspends ton jugement, ne lui donne point ce nom ; dis seulement qu’il est fortuné.

Il est impossible qu’un homme réunisse tous ces avantages, de même qu’il n’y a point de pays qui se suffise et qui renferme tous les biens : car, si un pays en a quelques-uns, il est privé de quelques autres ; le meilleur est celui qui en a le plus. Il en est ainsi de l’homme : il n’y en a pas un qui se suffise à lui-même : s’il possède quelques avantages, d’autres lui manquent. Celui qui en réunit un plus grand nombre, qui les conserve jusqu’à la fin de ses jours, et sort ensuite tranquillement de cette vie ; celui-là, seigneur, mérite,