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Bilon, répondit Solon : ils étaient Argiens, et jouissaient d’un bien honnête ; ils étaient en outre si forts, qu’ils avaient tous deux également remporté des prix aux jeux publics. On raconte d’eux le trait suivant. Les Argiens célébraient une fête en l’honneur de Junon. Il fallait absolument que leur mère se rendit au temple sur un char, et leurs bœufs n’arrivèrent pas des champs à l’heure dite. Les jeunes gens voyant le temps s’écouler, se mirent eux-mêmes sous le joug ; et tirant le char sur lequel leur mère était montée, ils le conduisirent ainsi quarante-cinq stades jusqu’au temple de la déesse. Après cette action, dont toute l’assemblée fut témoin, ils terminèrent leurs jours de la manière la plus heureuse, et la divinité fit voir par cet événement qu’il est plus avantageux à l’homme de mourir que de vivre. Les Argiens assemblés autour de ces deux jeunes gens louaient leur bon naturel, et les Argiennes félicitaient la prêtresse d’avoir de tels enfants. Celle-ci, comblée de joie et de l’action et des louanges qu’on lui donnait, debout aux pieds de la statue, pria la déesse d’accorder à ses deux fils Cléobis et Biton, qui l’avaient si fort honorée, le plus grand bonheur que pût obtenir un mortel. Cette prière finie, après le sacrifice et le festin solennel, les deux jeunes gens, s’étant endormis dans le temple même, ne se reveillèrent plus, et terminèrent ainsi leur vie. Les Argiens firent faire leurs statues, qu’ils consacrèrent à Delphes, comme celles d’hommes excellents. »

XXXII. Solon accordait par ce discours le second rang à Cléobis et Biton. « Athénien, répliqua Crésus en colère, fais-tu donc si peu de cas de ma félicité que tu me juges indigne d’être comparé avec des hommes privés ? — 0 Crésus, reprit Solon, tu me demandes ce que je pense de la vie humaine : ai-je donc pu te répondre autrement, moi qui sais que la Divinité est jalouse du bonheur des humains, et qu’elle se plait à le troubler ? car dans une longue carrière on voit et l’on souffre bien des choses fâcheuses. Je donne à un homme soixante-dix ans pour le plus long terme de sa vie. Ces soixante-dix ans font vingt-cinq mille deux cents jours, en omettant les mois intercalaires ; mais, si chaque sixième année tu ajoutes un mois, afin que les saisons se retrouvent précisement au temps où elles doivent arriver, dans les