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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

de Troie[1], et les mages firent des libations à l’honneur des héros du pays. Ces choses achevées, une terreur panique se répandit dans le camp la nuit suivante. Le roi partit de là à la pointe du jour, ayant à sa gauche les villes de Rhœtium, d’Ophrynium et de Dardanus, qui est voisine de celle d’Abydos, et à sa droite les Gergithes-Teucriens.

XLIV. Lorsqu’on fut arrivé à Abydos, Xerxès voulut voir toutes ses troupes. On lui avait élevé sur un tertre un tribunal de marbre blanc[2], suivant les ordres que les Abydéniens en avaient reçus auparavant. De là, portant ses regards sur le rivage, il contempla ses armées de terre et de mer. Après avoir joui de ce spectacle, il souhaita voir un combat naval. On lui donna cette satisfaction. Les Phéniciens de Sidon remportèrent la victoire. Xerxès prit beaucoup de plaisir à ce combat, et son armée ne lui en fit pas moins.

XLV. En voyant l’Hellespont couvert de vaisseaux, le rivage entier et les plaines d’Abydos remplis de gens de guerre, il se félicita lui-même sur son bonheur ; mais peu après il versa des larmes.

XLVI. Artabane, son oncle paternel, qui d’abord lui avait parlé librement sur la guerre de Grèce, et qui avait voulu l’en dissuader, s’étant aperçu de ses pleurs, lui tint ce discours : « Seigneur, votre conduite actuelle est bien différente de celle que vous teniez peu auparavant. Vous vous regardiez comme heureux, et maintenant vous versez des larmes. — Lorsque je réfléchis, répondit Xerxès, sur la brièveté de la vie humaine, et que de tant de milliers d’hommes il n’en restera pas un seul dans cent ans, je suis ému de compassion. — Nous éprouvons, dit Artabane, dans le cours de notre vie, des choses bien plus tristes que la mort même. Car, malgré sa brièveté, il n’y a point d’homme si heureux, soit parmi cette multitude,

  1. Minerve Iliade dans le grec. Elle avait son temple dans la citadelle, comme on le voit dans Homère. Elle était en grande vénération dans le pays. Alexandre le Grand, étant allé à Troie, lui fit des sacrifices.
  2. On avait placé sur ce tertre, ou colline, des siéges pour les seigneurs qui devaient accompagner Xerxès, et un autre beaucoup plus élevé, de marbre blanc, destiné au roi. C’est ce que signifie proprement προέξεδρη ; ce que ma traduction ne fait pas assez sortir. (L.)