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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

core comme protecteur de l’hospitalité et de l’amitié : comme protecteur de l’hospitalité, parce qu’en donnant à cet étranger une retraite dans son palais, il avait nourri sans le savoir le meurtrier de son fils ; comme dieu de l’amitié, parce qu’ayant chargé Adraste de la garde de son fils, il avait trouvé en lui son plus cruel ennemi.

XLV. Quelque temps après, les Lydiens arrivèrent avec le corps d’Atys, suivi du meurtrier. Adraste, debout devant le cadavre, les mains étendues vers Crésus, le conjure de l’immoler sur son fils, la vie lui étant devenue odieuse depuis qu’à son premier crime il en a ajouté un second, en tuant celui qui l’avait purifié[1]. Quoique accablé de douleur, Crésus ne put entendre le discours de cet étranger sans être ému de compassion. « Adraste, lui dit-il, en vous condamnant vous-même à la mort, vous satisfaites pleinement ma vengeance. Vous n’êtes pas l’auteur de ce meurtre, puisqu’il est involontaire ; je n’en accuse que celui des dieux qui me l’a prédit. » Crésus rendit les derniers devoirs à son fils, et ordonna qu’on lui fit des funérailles convenables à son rang. La cérémonie achevée, et le silence régnant autour du monument, cet Adraste, fils de Gordius, petit-fils de Midas, qui avait été le meurtrier de son propre frère, le meurtrier de celui qui l’avait purifié, sentant qu’il était le plus malheureux de tous les hommes, se tua sur le tombeau d’Atys.

XLVI. Crésus pleura deux ans la mort de son fils. Mais l’empire d’Astyage, fils de Cyaxare, détruit par Cyrus, fils de Cambyse, et celui des Perses, qui prenait de jour en jour de nouveaux accroissements, lui firent mettre un terme à sa douleur. Il ne pensa plus qu’aux moyens de réprimer cette puissance avant qu’elle devînt plus formidable. Tout occupé de cette pensée, il résolut sur-le-champ d’éprouver les oracles de la Grèce et l’oracle de la Libye.

  1. Hérodote répète encore la même chose dans ce même paragraphe. On a vu cependant, § xxxv, que c’était Crésus qui avait expié Adraste. Ce prince avait sûrement lui seul droit d’expier à sa cour ; mais il pouvait l’avoir confié à son fils à l’occasion de son mariage ; et si Hérodote dit, § xxxv, que ce fut Crésus qui purifia Adraste, c’est sans doute parce qu’il en avait seul le droit, et par la même raison qu’on attribuait à un général d’armée la victoire remportée par ses lieutenants et sous ses auspices. (L.)