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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

ces entrefaites, et, s’adressant à ce prince : « Mon père, lui dit-il, les actions les plus nobles et les plus généreuses m’étaient autrefois permises, je pouvais m’illustrer à la guerre et à la chasse ; mais vous m’éloignez aujourd’hui de l’une et de l’autre, quoique vous n’ayez remarqué en moi ni lâcheté ni faiblesse. Quand j’irai à la place publique, ou que j’en reviendrai, de quel œil me verra-t-on ? quelle opinion auront de moi nos citoyens ? quelle idée en aura la jeune princesse que je viens d’épouser ? à quel homme se croira-t-elle unie ? Permettez-moi donc, seigneur, d’aller à cette chasse avec les Mysiens ; ou persuadez-moi par vos discours que les choses faites comme vous le voulez sont mieux.

XXXVIII. » Mon fils, reprit Crésus, si je vous empêche d’aller à cette chasse, ce n’est pas que j’aie remarqué dans votre conduite la moindre lâcheté, ou quelque autre chose qui m’ait déplu ; mais une vision que j’ai eue en songe pendant mon sommeil m’a fait connaître que vous aviez peu de temps à vivre, et que vous deviez périr d’une arme de fer. C’est uniquement à cause de ce songe que je me suis pressé de vous marier ; c’est pour cela que je ne vous envoie pas à cette expédition, et que je prends toutes sortes de précautions pour vous dérober, du moins pendant ma vie, au malheur qui vous menace. Je n’ai que vous d’enfant, car mon autre fils, disgracié de la nature, n’existe plus pour moi.

XXXIX. » — Mon père, répliqua le jeune prince, après un pareil songe, le soin avec lequel vous me gardez est bien excusable : mais il me semble que vous ne saisissez pas le sens de cette vision ; puisque vous vous y êtes trompé, je dois vous l’expliquer. Ce songe, dites-vous, vous a fait connaître que je devais périr d’une arme de fer. Mais un sanglier a-t-il des mains ? est-il armé de ce fer aigu que vous craignez ? Si votre songe vous eût appris que je dusse mourir d’une défense de sanglier ou de quelque autre manière semblable, il vous faudrait faire ce que vous faites ; mais il n’est question que d’une pointe de fer. Puis donc que ce ne sont pas des hommes que j’ai à combattre, laissez-moi partir.