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THALIE, LIVRE III.

dire, vous fait préférer votre frère à votre mari et à vos enfants, quoiqu’il ne vous soit pas si proche que vos enfants, et qu’il doive vous être moins cher que votre mari ? — Grand roi, répondit-elle, si Dieu le permet, je pourrai trouver un autre mari, et avoir d’autres enfants lorsque j’aurai perdu ceux-ci ; mais, mon père et ma mère étant morts, il n’est pas possible que j’aie jamais d’autre frère[1]. Tels sont les motifs qui me l’ont fait préférer. » Darius, trouvant sa réponse pleine de sens et de raison, et l’ayant goûtée, il lui rendit non-seulement ce frère qu’elle avait demandé, mais encore l’aîné de ses enfants. Quant aux autres, il les fit tous mettre à mort. Ainsi périt, dès le commencement, l’un des sept.

CXX. Il arriva, à peu près vers le temps de la maladie de Cambyse, une aventure que je ne dois pas omettre. Orétès, Perse de nation, à qui Cyrus avait donné le gouvernement de Sardes, conçut le projet abominable de se saisir de Polycrate de Samos, et de le faire mourir, quoiqu’il n’en eût jamais reçu la moindre offense ni en paroles ni en actions, et qu’il ne l’eût même jamais vu. Mais voici la raison qu’en donnent la plupart de ceux qui racontent cette histoire.

Orétès, se trouvant un jour à la cour[2] avec Mitrobates, gouverneur de Dascylium, de discours en discours, ils en vinrent aux reproches. Comme leur dispute roulait sur le courage : « Vous êtes véritablement, dit Mitrobates à Orétès, un homme de cœur, vous qui ne vous êtes pas encore emparé de l’île de Samos, quoiqu’elle soit contiguë à votre gouvernement, et si facile à subjuguer,

  1. Cette opinion paraît bien étrange ; c’était cependant celle du siècle d’Hérodote ; et l’on croirait qu’elle était universellement établie, puisque Sophocle n’a pas craint de la mettre dans la bouche d’Antigone : « Après la mort d’un époux, un autre peut le remplacer ; la naissance d’un fils peut dédommager de celui qu’on a perdu : mais lorsque les auteurs de nos jours sont ensevelis dans la tombe, on ne peut plus compter sur la naissance d’un frère. »
  2. Il y a dans le grec : à la porte du roi. Les grands seigneurs attendaient à la porte des rois en Perse. Cet usage, établi par Cyrus, s’est conservé aussi longtemps que la monarchie ; et même encore actuellement en Turquie, on dit la porte ottomane, pour la cour. (L.)