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EUTERPE, LIVRE II.

LXVIII. Passons au crocodile et à ses qualités naturelles. Il ne mange point pendant les quatre mois les plus rudes de l’hiver. Quoiqu’il ait quatre pieds, il est néanmoins amphibie. Il pond ses œufs sur terre, et les y fait éclore. Il passe dans des lieux secs la plus grande partie du jour, et la nuit entière dans le fleuve ; car l’eau en est plus chaude que l’air et la rosée. De tous les animaux que nous connaissons, il n’y en a point qui devienne si grand après avoir été si petit. Ses œufs ne sont guère plus gros que ceux des oies, et l’animal qui en sort est proportionné à l’œuf ; mais insensiblement il croît, et parvient à dix-sept coudées, et même davantage[1]. Il a les yeux de cochon, les dents saillantes et d’une grandeur proportionnée à celle du corps. C’est le seul animal qui n’ait point de langue[2] ; il ne remue point la mâchoire inférieure[3], et c’est le seul aussi qui approche la mâchoire supérieure de l’inférieure. Il a les griffes très-fortes, et sa peau est tellement couverte d’écailles sur le dos, qu’elle est impénétrable. Le crocodile ne voit point dans l’eau, mais à l’air il a la vue très-perçante. Comme il vit dans l’eau, il a le dedans de la gueule plein de sangsues. Toutes les bêtes, tous les oiseaux le fuient ; il n’est en paix qu’avec le trochilus, à cause des services qu’il en reçoit. Lorsque le crocodile se repose sur terre au sortir de l’eau, il a coutume de se tourner presque toujours vers le côté d’où souffle le zéphyr, et de tenir la

  1. La coudée étant d’un pied cinq pouces, les dix-sept coudées font vingt-quatre pieds un pouce. Mais comme il y avait des coudées d’un pied huit pouces cinq lignes, les dix-sept coudées doivent faire, suivant cette évaluation, vingt-huit pieds onze pouces une ligne. Élien raconte qu’on a vu, sous Psammitichus, un crocodile de vingt-cinq coudées, c’est-à-dire de plus de trente-cinq pieds ; et sous Amasis, un autre de plus de vingt-six coudées, c’est-à-dire de plus de trente-six pieds. M. Norden en a vu de trente pieds de long et même de cinquante. (L.)
  2. Aristote croyait, de même qu’Hérodote, que le crocodile n’avait pas de langue. Cet animal a une substance charnue semblable à une langue, et adhérente dans toute sa longueur à la mâchoire inférieure, qui peut lui servir à retourner ses aliments. (L.)
  3. Aristote dit aussi que la mâchoire inférieure du crocodile est immobile. Quoique l’autorité de ce savant naturaliste soit d’un très-grand poids, il n’en est pas moins vrai que la mâchoire inférieure du crocodile est la seule mobile. C’est ce qu’ont observé MM. de l’Académie des sciences, le docteur Grew cité par Ray, Klein et Buffon. (L.)