Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 1, 1850.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
HISTOIRE D’HÉRODOTE.

que la victime brûle, ils se frappent tous ; et, lorsqu’ils ont cessé de frapper, on leur sert les restes du sacrifice.

XLI. Tous les Égyptiens immolent des bœufs et des veaux mondes ; mais il ne leur est pas permis de sacrifier des génisses[1], parce qu’elles sont sacrifiées à Isis, qu’on représente dans ses statues sous la forme d’une femme avec des cornes de génisse, comme les Grecs peignent Io. Tous les Égyptiens ont beaucoup plus d’égards pour les génisses que pour le reste du bétail : aussi n’y a-t-il point d’Égyptien ni d’Égyptienne qui voulût baiser un Grec à la bouche, ni même se servir du couteau d’un Grec, de sa broche, de sa marmite, ni goûter de la chair d’un bœuf monde qui aurait été coupée avec le couteau d’un Grec. Si un bœuf ou une génisse viennent à mourir, on leur fait des funérailles de cette manière : on jette les génisses dans le fleuve ; quant aux bœufs, on les enterre dans les faubourgs, avec l’une des cornes ou les deux cornes hors de terre, pour servir d’indice. Lorsque le bœuf est pourri, et dans un temps déterminé, on voit arriver à chaque ville un bateau de l’île Prosopitis. Cette île, située dans le Delta, a neuf schènes de tour ; elle contient un grand nombre de villes ; mais celle d’où partent les bateaux destinés à enlever les os des bœufs se nomme Atarbéchis. On y voit un temple consacré à Vénus. Il sort d’Atarbéchis beaucoup de gens qui courent de ville en ville pour déterrer les os des bœufs ; ils les emportent, et les mettent tous en terre dans un même lieu. Ils enterrent de la même manière que les bœufs le reste du bétail qui vient à mourir : la loi l’ordonne ; car ils ne les tuent pas.

  1. L’utilité de cet animal et sa rareté en Égypte étaient la cause de cette défense. Aussi, quoiqu’ils sacrifiassent et qu’ils mangeassent des bœufs, ils épargnaient les femelles, pour en avoir de la race ; et la loi regardait comme un sacrilége celui qui en aurait mangé. Saint Jérôme dit aussi : In Ægypto et Palæstina, propter boum raritatem, nemo vaccam comedit. Ce règlement, qui dans son principe était très-sage, dégénéra peu à peu en superstition. Les brachmanes, qui ne mangent point actuellement de vaches, s’en abstenaient autrefois probablement par la même raison. Ce qui s’était pratiqué dans les commencements par un motif d’utilité, le fut depuis par superstition. « Et les Égyptiens et les Phéniciens, ajoute Porphyre, auraient plutôt mangé de la chair humaine que de celle de vache. » (Porphyre, De abst., lib. ii.)