Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 1, 1850.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
HISTOIRE D’HÉRODOTE.

accord, soixante vaisseaux. Les Phocéens, ayant aussi équipé de leur côté pareil nombre de vaisseaux, allèrent à leur rencontre sur la mer de Sardaigne. Ils remportèrent une victoire cadméienne[1] ; mais elle leur coûta cher, car ils perdirent quarante vaisseaux, et les vingt autres ne purent servir dans la suite, les éperons ayant été faussés. Ils retournèrent à Alalie, et, prenant avec eux leurs femmes, leurs enfants, et tout ce qu’ils purent emporter du reste de leurs biens, ils abandonnèrent l’île de Cyrne, et firent voile vers Rhegium.

CLXVII. Les Carthaginois et les Tyrrhéniens ayant tiré au sort les Phocéens qui avaient été faits prisonniers sur les vaisseaux détruits, ceux-ci en eurent un beaucoup plus grand nombre. Les uns et les autres, les ayant menés à terre, les assommèrent à coups de pierres. Depuis ce temps-là, ni le bétail, ni les bêtes de charge, ni les hommes même, en un mot rien de ce qui appartenait aux Agylléens ne pouvait traverser le champ où les Phocéens avaient été lapidés sans avoir les membres disloqués, sans devenir perclus, ou sans tomber dans une espèce d’apoplexie. Les Agylléens envoyèrent à Delphes pour expier leur crime. La Pythie leur ordonna de faire aux Phocéens de magnifiques sacrifices funèbres, et d’instituer en leur honneur des jeux gymniques et des courses de chars. Les Agylléens observent encore maintenant ces cérémonies. Tel fut donc le sort de ces Phocéens. Ceux qui s’étaient réfugiés à Rhegium, en étant partis, bâtirent dans les campagnes d’Œnotrie la ville qu’on appelle aujourd’hui Hyèle. Ce fut par le conseil d’un habitant de Posidonia, qui leur dit que la Pythie ne leur avait pas ordonné, par sa réponse, d’établir une colonie dans l’île de Cyrne, mais d’élever un monument au héros Cyrnus[2]. Ce qui regarde Phocée en Ionie se passa de la sorte.

  1. Cette expression était passée en proverbe pour dire une victoire funeste aux vainqueurs. Par victoire cadméienne les anciens entendaient celle des deux frères Étéocle et Polynice, comme étant honteuse et pernicieuse.
  2. Cyrnus, fils d’Hercule, donna son nom à l’île de Cyrne. Il fut sans doute honoré comme un héros, et c’est probablement de lui dont veut parler Hérodote. Soit vanité, soit paresse, les Grecs avaient recours à leurs fables toutes les fois qu’ils se trouvaient embarrassés sur l’origine d’un peuple. (L.)