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ailée s’en va

Oh ! combien Ailée est triste ; elle n’est plus la même, elle est déjà une autre, prête à devenir différente en devenant une autre goëlette !

Triste est mon âme, ce soir, comme son image ; et comme à la veille d’une grande séparation sans paroles nous nous dévisageons. Je vais du carré à la bibliothèque de ma cabine dans la descente.

Puis une dernière visite dans les soutes, en passant par le poste de l’équipage, la cuisine et le carré des officiers, enfin je prends mon dernier souper solitaire dans le carré.

Pour ma dernière nuit à la mer à bord de mon « Ailée » je ne me coucherai pas. Je dormirai de 9 heures à minuit dans la descente, je ferai jusqu’au jour mon dernier quart dans la brume, l’humidité et le froid.

La corne à brume régulièrement envoie sa plainte.

Nous croisons quantités de vapeurs aux regards verts et rouges, mais invisibles ; nous naviguons dans l’obscurité comme des aveugles.

C’est l’arrivée à Gosport et le mouillage devant les chantiers. Je l’habitai encore trois journées de bel automne clair.

Les trois pavillons ondulaient gaiement comme si rien n’était arrivé, comme si le lendemain allait être un jour pareil ! J’avais le cœur serré, je fis un grand effort pour quitter « Ailée », pour m’arracher à elle et à mes souvenirs ; les pavillons furent amenés ; je serrai les mains du capitaine et de l’équipage, je descendis