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le bateau de mon enfance

Ma voix, pour une fois encore, montait sur les boiseries, et mes yeux caressaient l’angle des meubles une dernière fois.

Une soir, ayant vu le bateau désert je demandai au capitaine l’autorisation de monter chez lui, là-haut, sur cette passerelle où j’avais fait tant de quarts.

Il me laissa seule ; lorsqu’il revint, il me trouva le visage en larmes.

Au propriétaire, j’avais donné mes sourires ;

Au capitaine, mes larmes, je sais à qui j’ai donné le plus.

Retrouver ce cadre aimé avec une mémoire fidèle, faire refleurir là des roses où elles étaient, revoir ici un objet qui n’y est plus et repeupler avec patience ces appartements comme ils étaient maintenant qu’ils sont devenus étrangers.



Puis, tout à coup, vos yeux s’attachent, pénétrant ce meuble-là en acajou, c’est bien le même, la petite bibliothèque avec les mêmes serrures, tout le passé me remonte à l’âme.

Si j’ouvrais ces battants comme autrefois ne retrouverais-je pas mes livres préférés et ma douceur et mes illusions de petite fille ?

Sous mon regard, le meuble bouge, un brouillard passe ; le steward, respectant mon émotion, ne dit plus rien.