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le bateau de mon enfance

cuivres, hisser des pavillons, allumer les feux de position, tenir la barre, grimper au hunier ; je sens que j’ai déjà vécu plusieurs existences à bord de ces chers bateaux qui voguaient sur les mers profondes.

Car je n’ai jamais fait pour la première fois toutes ces manœuvres dans cette vie.

Lorsque je les faisais, je me rappelais les avoir exécutées déjà, comme un grand rêve obscur et presque effacé.

Mais je les répétais, cependant que mes mains habiles, et mes jambes habituées à la cadence de l’effort me donnaient la force d’exécuter le travail.

C’est pourquoi les plus belles perles, que j’ai vues dans leur coquille, ne sont pour moi qu’amusement, pareilles au sable entre les doigts ; (je ne puis les prendre au sérieux, et n’aime les regarder que sur les autres).

Pendant que j’écris ces pensées la nuit est venue.

L’humidité imprègne toute chose et le goudron entre dans mes narines.

Les voiles gonflées s’épanouissent ; des nuages massés à l’arrière forment un écran menaçant, cependant que, poussés grand largue nous allons à l’horizon vers le demain qui deviendra notre jour, et ainsi s’écoule le temps sur cette mer infinie qui encercle la boule de ce monde.