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le bateau de mon enfance

Le bateau de mon enfance va appareiller, je vois la fumée s’échapper de sa cheminée ; d’ici j’entends les bruits connus de son appareillage.

Je ne le regarderai pas s’éloigner.

Je ne veux pas assister à cette fuite à la fin du jour.

La nuit l’effacera avec elle.

Je ne puis supporter que le bateau que j’aime s’en aille, sorte de mon cœur où il est ancré, et le déchirant, s’éloigne en devenant de plus en plus petit pour n’être plus qu’un point là-bas, et être absorbé par l’horizon.

Non je m’en irai.

Le bruit du jazz-band est étourdissant ; que de rires, de mouvements et de couleurs.

Pareille aux autres, je me suis assise, d’une main une cigarette, de l’autre, une tasse de thé, semblable.

Mais je ne souris pas comme elles, et dans une angoisse profonde, dans la fumée de ma cigarette, j’assiste sans le voir, à l’appareillage du bateau de mon enfance.

Toutes ces femmes, pareilles comme des poupées, se ressemblent étonnamment ; il y en a des roses, des rouges, des vertes, des bleues et des jaunes.

Elles dansent ; même dans leurs sourires, même dans leurs regards, je ne puis trouver de différence.

Elles doivent avoir raison puisqu’elles sont si nom-