Page:Hériot - Une âme à la mer, 1929.pdf/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
une âme à la mer

lentement effacé, avec le temps il s’était longuement éloigné.

Mais ce que nous avons aimé est toujours proche de nous quoique oublié.

J’ai embarqué aujourd’hui sur un grand vaisseau qui lui ressemblait comme un frère.

Les amarres jouaient en grinçant, il roulait, longuement, sa poupe énorme était plus haute que le quai.

Je suis montée à bord, sa mâture, sa cheminée étaient si semblables que de souvenance et de regrets je me suis arrêtée.

Il ne faut pas troubler le passé ; qu’il dorme, qu’il dorme.

Je regarde « Finlandia », désert, désarmé le long du quai avec l’écriteau : « Défense d’embarquer sans autorisation ». Mes yeux s’emplissent de larmes et mon cœur bouge au souvenir d’autrefois ! Cependant mon âme est embarquée sur un voilier qui tangue et roule bord sur bord. Aussi je me demande pourquoi je pleure puisque mon cœur a un nouvel embarquement.

Mais je pense que c’est naturel d’éprouver des regrets pour les êtres et les choses que nous avons aimés, si, même en les revoyant, nous les retrouvons si différents.

Nous gardons l’empreinte pleine de tristesse douce pour les heures que nous ne devons plus revivre.