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Votre élève, habituée à l’analyse, à la réflexion, au raisonnement, vous dira sans doute : dans tous les phénomènes, il y a deux aspects : la fixité et la mobilité ou le devenir. Je suis bien la même personne du berceau jusqu’à la tombe, et cependant je sais bien que, pas une minute je ne suis la même ; que je me modifie incessamment dans mon corps et dans mes facultés. Il me paraît en être de même, à des degrés différents, pour tout ce que je connais. Qu’est-ce que cette chose fixe qui fait l’unité individuelle des êtres, leur identité et que je ne puis saisir ?

Répondez sans hésiter, Madame : tu me poses la question qui tourmente le plus les esprits élevés depuis l’origine de notre espèce ; et à laquelle on ne peut répondre qu’à l’aide d’hypothèses invérifiables. Tu le sais, notre Raison n’est faite que pour connaître les phénomènes et leurs lois, non pour connaître l’essence des choses ni les causes premières qui ne sont pas du domaine de la science.

De ce que nous ne pouvons connaître le côté fixe des phénomènes, s’ensuit-il que nous devions le nier ? Ce serait absurde : puisque cette fixité est un phénomène perçu par la Raison.

Nous est-il interdit de former une hypothèse sur cette chose dont la nature se dérobe à la connaissance ? Non ; mais prends garde ! Rappelle-toi qu’une hypothèse ne peut être tout au plus qu’une probabilité. N’oublie pas non plus que la Raison et la Science te démontrent que tout est composé, conséquemment étendu, divisible, limité, en relation ; que la diversité est la condition de l’unité, et qu’un être est d’autant plus parfait qu’il est plus composé. D’autre part, ton sentiment te dit que les lois qui régissent l’ensemble des choses ne se contredisent pas ;