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vaillent dans les manufactures, parce qu’ils ont un boss à qui il faut obéir. Libre… sur la terre… allons donc !

Il s’animait à mesure et parlait d’un air de défi.

— Il n’y a pas d’homme dans le monde qui soit moins libre qu’un habitant… Quand vous parlez d’hommes qui ont bien réussi, qui sont bien gréés de tout ce qu’il faut sur une terre et qui ont plus de chance que les autres, vous dites : « Ah ! ils font une belle vie ; ils sont à l’aise ; ils ont de beaux animaux. »

« Ça n’est pas ça qu’il faudrait dire. La vérité, c’est que ce sont leurs animaux qui les ont. Il n’y a pas de boss dans le monde qui soit aussi stupide qu’un animal favori. Quasiment tous les jours ils vous causent de la peine ou ils vous font du mal. C’est un cheval apeuré de rien qui s’écarte ou qui envoie les pieds ; c’est une vache pourtant douce, tourmentée par les mouches, qui se met à marcher pendant qu’on la tire et qui vous écrase deux orteils. Et même quand ils ne vous blessent pas par aventure, il s’en trouve toujours pour gâter votre vie et vous donner du tourment…

« Je sais ce que c’est : j’ai été élevé sur une terre ; et vous, vous êtes quasiment tous habitants et vous le savez aussi. On a travaillé fort tout l’avant-midi ; on rentre à la maison pour dîner et prendre un peu de repos. Et puis avant