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XIV
PRÉFACE

la probité, l’indulgence et la simplicité, comme Brunetière le prescrit, que le véritable artiste arrive à un résultat dont il se contente. La gloire littéraire, le laurier vert, ne se conquiert point à la hussarde.

À ces titres divers Maria Chapdelaine m’a paru devoir servir de modèle à nos jeunes romanciers.

Les critiques déclareront, si le cœur leur en dit, que la charpente de ce roman est un peu frêle, que son intrigue est vraiment si ténue que de bon compte on ne la voit mie, que l’esquisse de ses personnages ne saurait pleinement satisfaire les analyseurs de substances grises. On pourra même en vouloir à l’auteur de n’avoir pas assez mis à contribution la faune si pittoresque de la contrée qu’il fait connaître. Certes, il aurait été « plaisant » d’entrevoir un chevreuil bramant au clair de lune des Laurentides, ou une loutre pêchant des truites, voire quelques oiseaux-mouches promenant leur bourdonnement vermeil sur nos champs de blé noir ou dans le potager de nos fermières. Les belles dames de Brest et aussi de Paris se fussent pâmées, et le « pays de Québec » eût semblé plus attrayant un tantinet et moins « malavenant ». De même, la flore du pays, dans un récit aussi sylvestre, est vraiment réduite à sa plus simple expression, et l’auteur a peut-être fait trop bon marché de nos plus beaux arbres, de ceux-là mêmes qui tombent sous la hache de ses défricheurs, pour abuser de l’aune et surtout du cyprès qui n’est d’ailleurs pas, chez nous, l’arbre funèbre classique, mais une variété de pin à écorce rugueuse et d’un gris rose et qui croît dans les vallons sablonneux. Ah, nos arbres qui sont la gloire de l’automne canadien ! Et toutes les fleurs et fleurettes de nos bois, depuis la si gracile linaigrette qui dévide sa petite quenouille de soie blanche sur les troncs pourrissants et collabore avec la mousse qui les ensevelit, jusqu’aux orgueilleux kalmias qui recouvrent de leurs lourdes grappes roses les bords rocheux de nos lacs, sans parler des mille corolles, thyrses et corymbes anonymes qui font prendre les parfumeurs en pitié ! Pour ma part, je chicanerais volontiers l’auteur, ou plutôt le peintre d’une région pareille, sur sa négligence à égayer son tableau, comme d’un accompagnement obligato, d’un bouquet d’épilobes, de ces hautes fleurs d’un rouge violet aux quatre têtes de style étalées en croix, qui se répandent en massifs à la lisière des terres neuves, dominent toute la flore sauvage et célèbrent le passage et le triomphe du défri-