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VII
PRÉFACE

l’arrogance bochisante ; il célèbre paisiblement l’« amour sacré de la patrie » ; il démontre encore l’affection que les écrivains de France, comme tous les Français, éprouvent à notre endroit lorsqu’ils nous étudient et nous regardent de près, et qu’il suffit d’un peu de sympathie et d’attention de part et d’autre pour que nous nous connaissions mieux, entre Canadiens et Français, ou plutôt que nous nous reconnaissions, de loin et en tout temps, aussi bien que Français et Canadiens se reconnaissent aujourd’hui dans les tranchées, face à l’ennemi commun… Mais, c’est entendu, le roman de Gérin-Lajoie est un plaidoyer, et celui de Louis Hémon est une peinture. On ne saurait conséquemment comparer l’un à l’autre. Toutefois, ils se ressemblent pour démontrer que les sujets de romans ne manquent point chez nous, et que la pusillanimité de nos littérateurs ne doit pas incriminer la pauvreté des sources d’inspiration que la nature canadienne leur fournit.

La préface de Cromwell a définitivement démontré que « tout ce qui est dans la nature est dans l’art », et il n’est pas inutile de répéter à nos jeunes gens de lettres que leur seule chance de bien faire, sinon leur principale chance de réussir absolument, c’est de s’inspirer de la nature canadienne et de s’y soumettre aussi bien.

La littérature n’est pas une carrière chez nous, mais la manifestation quasi irrépressible des dispositions artistiques de notre tempérament français ; elle est ainsi l’occupation de quelques esprits jouissant de loisirs ou s’en créant pour se former tant bien que mal aux lettres et qui, de fois à autre et par intermittences, mettent en œuvre le produit de leurs études en publiant ça et là quelques volumes dont l’ensemble constitue et représente notre littérature nationale. Nous parlons ici des œuvres de littérature proprement dite, et surtout de nos romans, puisqu’à propos de Maria Chapdelaine ; car il serait par trop injuste de méconnaître le labeur ou de diminuer le mérite de nos historiens, annalistes et éducateurs qui ont persévéré et persévèrent encore à faire contre fortune bon cœur. Nous n’oublions pas que Garneau a sacrifié son propre avenir et celui de ses enfants afin de pouvoir dire toute la vérité sur les hommes et les événements de son pays. Et nous ne savons que trop où la poursuite de la poésie a conduit Crémazie. De même, le sort de Nevers, de Buies, de Nelligan et d’autres écrivains canadiens, s’il n’est guère encourageant, n’en est pas moins glorieux et digne de notre respect et de notre gratitude.

Lorsqu’on songe aux difficultés qu’il faut vaincre,