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VI
PRÉFACE

d’économie sociale ». Mais Gérin-Lajoie s’est inspiré de tant de patriotisme que le rôle idéal qu’il assigne au défricheur canadien et l’existence prospère que son imagination lui fait vivre confèrent un mérite littéraire à plusieurs pages de cette œuvre, sociale au premier chef.

Louis Hémon, lui, s’est arrêté dans un milieu que nous avons tous vu ou dont nous avons maintes fois vu les pareils. Apercevons, après lui, ce qu’il y a observé de pittoresque et de saisissant, et ce qu’il a tiré et que l’on ne se doutait point qu’il pût tirer de ce trou perdu. Par le talent peu tapageur d’un romancier encore inconnu, voilà que ce trou perdu est promu à la dignité littéraire ; et vous verrez que des touristes fixeront désormais dans leur itinéraire la petite patrie de Maria Chapdelaine, comme d’autres y mettent le pays d’Évangéline. Louis Hémon nous a effectivement donné le portrait réel et définitif d’une famille de bûcheron canadien-français, dans le cadre qui convenait à ce portrait.

En observant ainsi le défricheur canadien, Louis Hémon ne s’est donc soucié que de littérature, de par son état qui était de peindre et non de prêcher ; son métier est si sûr, son rendu si exact, sans maniérisme et sans fignolage, que la pensée patriotique et sociale se dégage de son œuvre, tout comme l’impression littéraire se dégage du patriotisme aussi sincère qui a inspiré Jean Rivard. C’est par sa fidélité à exprimer les sentiments de ses personnages que Louis Hémon révèle les raisons profondes de leur attachement à la terre natale. Et c’est ainsi qu’une pensée discrètement patriotique, que l’auteur soucieux de son impersonnalité d’artiste n’a pas voulu exprimer autrement, s’exhale de son récit, comme de la vérité même, et procure un sens et défère même un rôle à ce livre qui aurait pu se contenter d’être intéressant. Les circonstances qui font paraître au Canada cette œuvre en des heures suprêmement douloureuses pour la France et pour l’Angleterre et donc pour nous tous, en accentuent singulièrement la pensée et la rendent tout à fait digne de la bonne foi et de la véracité de l’auteur, cependant qu’en la faisant ainsi jaillir, il ne songeait point que la guerre fût si proche. Effectivement et au moment le meilleur, ce récit véridique et sincère fera connaître en France les vertus de ces paysans canadiens dont les fils ou les petits-fils se retrouvent dans toutes les guerres saintes, et plus nombreux que jamais dans la grande guerre qui est la lutte décisive du droit des peuples et des gens contre le débordement furieux de