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Les enfants sont dehors : ils ramassent dans les voies adjacentes des débris de bois et de papier, font un feu au beau milieu de Faith street, et jouent à essayer de s’y pousser l’un l’autre. À des intervalles irréguliers, ils rentrent dans les maisons pour voir s’il y a quelque chose à manger, mais sans grand espoir.

Lizzie Blakeston grandit parmi toutes ces choses. À treize ans elle était chargée de tous les travaux du ménage, pendant que sa mère nettoyait des magasins dans Bethnal-Grenn. L’entretien sommaire des quatre pièces de la maison ; la confection occasionnelle des repas ; la séduction quotidienne de l’épicier et du boulanger, qui refusaient de continuer leur crédit, prirent désormais le plus clair de son temps, et il ne lui resta plus guère de loisirs à consacrer à son art. D’ailleurs Lizzie prenait au sérieux ses devoirs et en tirait une dignité de manières qui provoquait parmi ses connaissances de Cambridge road d’amères railleries. Quand elle regagnait sa demeure, Bunny trottait sur ses talons, portant une miche ou le pot de bière paternel, elle n’accordait qu’une attention distraite aux jeunes personnes qui évoluaient autour d’un piano mécanique, exhibant devant des spectateurs plutôt narquois toute la gamme de leurs pas et de leurs altitudes. Invariablement une des danseuses s’arrêtait, et disait d’un ton mi-aimable et mi-moqueur : « Hallo ! Lizzie ! » Lizzie renfonçait un vestige de regret, répondait gracieusement « Hallo ! » et passait avec un sourire. Ce sourire disait aussi clairement qu’auraient pu le faire des mots : « Amusez-vous, mes filles, mais la vie n’est pas un jeu, comme vous vous en apercevrez tôt ou tard. D’ailleurs si Mr. Blakeston père ne trouvait pas à manger quand il rentrera, ça ferait des histoires !»

La vie avait pourtant ses bons moments. Le samedi soir Lizzie revêtait une robe de velours groseille, trop vieille pour pouvoir être engagée ou vendue, mais qui produisait encore une certaine impression de splendeur. Ses cheveux, roulés en papillotes toute la semaine, étaient enfin déroulés et formaient une frange gracieusement ondulée qui cachait son front, sans compter deux rouleaux disciplinés au-dessus de chaque oreille. Les débris de son canotier étaient rassemblés sur sa tête et maintenus au moyen d’une longue épingle dont la tête de verre taillé scintillait aux lumières des boutiques comme un authentique diamant. S’il