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nouvelle avait pris forme, une forme vraisemblable et indiscutablement réelle. Ce n’était plus qu’une date sur le calendrier, une date soulignée à l’encre, que rien ne pouvait empêcher d’arriver.

Et puis Lizzie était bien trop occupée pour être impatiente. Il fallait d’abord choisir l’air de danse, l’air irrésistible qui devait assurer le triomphe ; il fallait en copier la musique sur du papier soigneusement rayé pour l’orchestre du « Paragon ». C’était long : on devait s’appliquer terriblement, éviter les pâtés, ne pas se tromper de ligne, et l’ouvrage fait, enlever avec une gomme les traces de doigts. Et avec tout cela il fallait encore trouver le temps de travailler plus que jamais, d’apprendre par cœur toutes les nuances du morceau, d’en donner à l’exécution le « fini » brillant et sûr qui devait trancher sur la médiocrité des exhibitions rivales. Les heures d’atelier ne s’écoulaient qu’avec une lenteur fastidieuse ; mais les soirées passaient dans la fièvre.

Ce ne fut que dans le courant de la dernière semaine que Lizzie s’avisa qu’il était une question capitale qu’on avait jusque-là négligée : le costume. Elle y songea pour la première fois un matin en s’habillant, récapitula mentalement le contenu de sa garde-robe et s’abandonna au plus complet désespoir. L’insuffisance de son trousseau était si évidente qu’il semblait impossible d’arriver à une solution satisfaisante. Elle agita le problème toute la journée et décida qu’il faudrait recourir à des emprunts : une camarade de l’usine avait un chapeau orné de plumes jaunes qu’elle consentirait peut-être à prêter ; une autre possédait une robe de satin noir d’une grande beauté.

Lizzie se rasséréna quelque peu ; mais quand elle fit part de son projet à l’oncle Jim, il réfléchit quelques instants, et exposa des vues surprenantes.

— Petite ! dit-il, si vous avez le beau chapeau et la robe de satin noir, peut-être que ça fera plaisir à la galerie ; mais vous pouvez être sûre que les gens des places chères ne trouveront pas ça superbe ! Ils ont vu mieux que cela, cela ne les étonnera pas, et peut-être bien que ça ne leur plaira pas du tout. Il ne faut pas oublier qu’ils auront payé des deux ou trois shillings pour leur place, et que c’est leur opinion qui comptera aux yeux de la direction.

Il délibéra quelques minutes, et dit avec décision :

— Vous ne savez pas ce que vous allez faire, petite ? Vous allez danser en costume d’atelier. Parfaitement ; avec une petite blouse de toile