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FEUILLETON DU TEMPS
DU 6 MARS 1908 (4)
LIZZIE BLAKESTON

Un samedi soir en rentrant, Lizzie trouva l’oncle installé dans la pièce du rez-de-chaussée ; sa figure et son maintien dégageaient une impression de mystérieux contentement. Il accueillit sa nièce d’un hochement de tête amical, et lui montra des yeux quelque chose qui occupait un coin de la chambre.

Lizzie suivit son regard, et joignant les mains, poussa un « Oh ! » de surprise exultante : le mobilier sommaire de la pièce s’était enrichi depuis la veille d’une plate-forme carrée formée de planches assemblées avec art, une petite plate-forme qu’on devinait au premier coup d’œil bien assise, forte et légère, élastique comme un tremplin et sonore comme un tambour.

Lizzie s’y campa d’un saut, arracha son chapeau et le lança sur la table, donna quelques coups de talon d’essai, poussa un éclat de rire aigu, reprit aussitôt un air de gravité surnaturelle et dit : « Y a du bon ! » Et l’oncle Jim empoigna l’accordéon avec un large sourire.

Les enfants qui jouaient au milieu de Faith street s’arrêtèrent tout à coup dans leurs ébats, et après une courte quête, vinrent écraser contre la vitre des figures multicolores. Ils arrivèrent juste à temps pour voir la danseuse s’arrêter, car l’oncle venait de reposer son instrument sur la table, et se renversant sur sa chaise, regardait son ouvrage d’un air de satisfaction modeste. « Et voila ! dit-il. C’est moi qui l’ai faite, cet après-midi. Elle est bonne. Ça n’a l’air de rien, comme ça ; mais il faut savoir. » Puis il se leva et reprit son air mystérieux. « Ce n’est que le commencement, reprit-il. Remettez votre chapeau, petite, nous allons sortir. » Lizzie écarquilla les yeux et obéit.

Ils descendirent Cambridge road, tournèrent à gauche dans Mile-End road et suivirent le large trottoir jusqu’au « Paragon », L’oncle dit négligemment : « Nous n’entrerons pas ce soir ;