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Elle était généralement rappelée à la réalité par un bruit quelconque ou le coup de pied charitable d’une voisine qui voulait lui éviter une amende ; et elle se remettait au travail de bonne grâce, avec un sourire un peu supérieur, parce qu’elle était seule à savoir ce qui allait arriver.

Et l’été vint. Il vint tout à coup, après un printemps tardif et froid, et peut-être qu’il remplit les campagnes de merveilles, mais dans Mile-End et Stepney il pesa lourdement. Le soleil chauffa à blanc le toit de zinc de la corderie et transforma en étuve le long atelier où flottaient des poussières de chanvre, et les heures chaudes se traînaient l’une après l’autre au long des interminables journées.

Le soir arrivait pourtant ; mais il n’apportait à Lizzie que Faith street, pareille à un long couloir tiède et sans soleil, emplie d’une atmosphère stagnante où se fondaient tous les relents du jour. Quand l’oncle Jim tardait à venir, elle montait pour l’attendre dans la pièce du premier, et s’asseyait à sa place favorite près de la fenêtre. À cette heure-là, il venait souvent par-dessus les toits des maisons d’en face une brise un peu plus fraîche, qui annonçait l’approche de la nuit ; et même quand la brise manquait, les teintes douces du ciel entre les cheminées étaient une sorte de réconfort.

Bunny, qui lui tenait généralement compagnie, se laissait parfois attendrir par la paix du soir et lui révélait ses aspirations. Il désignait le couchant par un geste vague et disait pensivement : « Tu vois là où c’est vert. Hein ! ce que ça doit être loin ! » Et après un silence : « Je voudrais bien y aller voir ! » Il ne songeait probablement qu’à cette partie du monde qui devait se trouver directement au-dessous de l’horizon aux nuances d’aigue-marine ; mais Lizzie, s’imaginant qu’il aspirait au firmament même, le regardait d’un air soupçonneux et se contentait de secouer la tête.

Elle n’éprouvait aucun désir de ce genre. L’idée de déplacement s’associait dans son esprit avec des embarras nombreux, une grande fatigue, l’intrusion dans un milieu inconnu et probablement hostile. Non, elle préférait attendre son bonheur sur place… Elle sentait confusément qu’elle avait une quantité de souhaits à formuler ; mais elle ne pouvait guère les séparer l’un de l’autre. Ils formaient un tout, un régime complet dont l’avènement viendrait modifier un état de choses par trop