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sembla que l’ombre descendait tout à coup, inexorable, après une longue attente. La musique s’était tue, et Lizzie était assise sur une chaise, haletant un peu, avec un faible sourire étonné.

L’oncle posa l’accordéon par terre, appuya les mains sur ses genoux et poussa un long sifflement

— Mais, petite, dit-il, c’est que vous savez danser !


L’oncle Jim comprit de suite qu’il avait fait jusque-là fausse route en essayant d’enseigner la musique à sa nièce ; il était clair qu’elle n’était pas née pour l’accordéon, mais bien pour la danse, et c’était de ce côté qu’ils devaient diriger tous deux leurs efforts.

Lizzie fut un peu étonnée et presque offensée de l’entendre insinuer qu’elle avait encore beaucoup à apprendre ; elle se souvenait des triomphes de son enfance et protestait que quelques semaines de pratique lui rendraient toute la souplesse d’antan. Mais l’oncle avait des idées sur la danse, des idées particulières et très arrêtées, et quand il les exposa à Lizzie, ce lui fut une révélation presque aussi complète que quand elle l’avait entendu pour la première fois jouer de l’accordéon.

Elle avait accompli sous sa direction quelques exercices et se reposait. C’était l’heure où le marchand de sable passe pour les enfants et où les petites travailleuses fatiguées songent qu’il n’y a plus qu’une courte nuit entre l’heure présente et le travail du lendemain. L’oncle Jim était assis, penché en avant, les coudes sur les genoux, maniant rêveusement l’accordéon d’où sortaient à chacun de ses gestes des plaintes étouffées.

— Voyez-vous, petite, n’importe quelle jeune oie qui n’a pas les genoux trop raides ni la taille en bois peut donner des coups de pied en l’air, se casser en deux et appeler ça de la danse. Mais nous pouvons faire mieux que cela, petite, beaucoup mieux ! Les gens du grand monde s’attrapent par la taille et tournent en rond en faisant des manières, et ils appellent ça aussi de la danse. Mais si vous prenez une duchesse et si vous la mettez sur une plate-forme de deux pieds de côté, bien sonore, et si vous lui jouez un air de danse, un vrai, qui vous enlève comme des coups de fouet dans les jambes, et que vous lui disiez de chanter cet air-là avec ses pieds, eh bien, elle ne saura pas, la duchesse ! Elle ne saura pas, petite ! Et toutes ses manières ne