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C’était une vie monotone ; mais elle ne songeait pas à s’en plaindre ; et quand un changement survint, ce fut sous une forme qui ne lui apporta que de l’ennui. Mr. Blakeston père, à qui l’expérience de toute sa vie avait sans doute enseigné les dangers de l’oisiveté, s’avisa que les soins du ménage ne constituaient vraiment pas une occupation assez sérieuse pour absorber tout le temps de sa fille ; et après quelques aphorismes sur la sainteté du travail, il se mit en quête. Ses efforts furent couronnés d’un succès inespéré ; car après quelques semaines de recherches poursuivies avec une belle activité, il put annoncer à Lizzie qu’il avait obtenu pour elle un emploi dans une corderie de Commercial road, aux gages de 8 shillings par semaine.

Lizzie ne montra aucune joie : elle se contenta d’obéir. Il lui fallut désormais se lever très tôt, ce qu’elle n’aimait pas, et sortir encore mal éveillée dans le froid du matin blafard. Il lui fallut travailler onze heures par jour dans un atelier obscurci de poussières flottantes, entre des cloisons qui vibraient perpétuellement sous le ronflement des machines qui tournaient au-dessous ; et Lizzie n’aimait pas le travail. Elle se résigna pourtant, d’abord parce qu’elle était riche de toutes les vertus passives, et puis parce qu’elle ne pouvait rien faire d’autre.

Ses compagnes de l’usine la regardèrent d’abord avec méfiance. Lizzie ne faisait que de faibles tentatives pour rehausser d’artifices de toilette ses charmes naturels. Elle préférait à tous autres les amusements simples et qui ne demandent que peu d’effort, les plaisirs placides de petite fille paresseuse ; enfin aux propos facétieux ou galants des jeunes hommes, elle ne trouvait d’autre réponse qu’un sourire pâle ou une phrase de politesse dérisoire. Elle n’éprouvait aucune confusion, et ils étaient tous très gentils… Mais tout cela ne tirait pas à conséquence. Les lionnes de la corderie la jugèrent en peu de temps et sans appel : elle ne serait jamais qu’une petite dinde. D’autres prirent pour de la hauteur son détachement candide et parlèrent avec une moue dédaigneuse de cette petite qui faisait des manières.

Mais rancune et dédain vinrent s’émousser peu à peu sur l’inaltérable simplicité de Lizzie. On se fatigue vite de prodiguer des moues arrogantes à quelqu’un qui ne semble pas s’en offenser ; et Lizzie ne s’offensait de rien. Son souci principal était de n’être pas en retard le matin et d’éviter les histoires, et elle était toujours prête à rendre service, non pas tant par désir d’obliger que parce que sa propre peine la laissait presque indifférente. Quand les hostilités du début disparurent et qu’on prit l’habitude de