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— Ah ! mon Dieu, alors il est arrivé un accident ! Je viens de rencontrer son cheval, tout sellé, qui errait dans les champs… Il se sera emballé, il aura désarçonné son maître !

Christiane, atterrée, ne trouvait pas un mot à dire. Elle comprenait tout ! Dans sa hâte, Gaston avait négligemment fixé la bride de Mutin, et celui-ci, vexé de se voir relégué dans un coin sombre et inhabituel, avait réussi à se libérer, pour s’en aller vaguer dans la campagne !

— C’est affreux, Christiane. Avec son pauvre bras ! Où est-il ? ô mon Dieu !

Elle éclata en sanglots. Brusquement la porte s’ouvrit et Gaston, bouleversé, vint se jeter à ses pieds, pas du tout cornélien, lui, mais tout pareil à un héros romantique : Hernani, Fortunio…

— Pardonnez-moi, cria-t-il. Je vous aime tant ! Je voulais savoir si vous m’aimiez aussi et…

Les sanglots s’étaient arrêtés net. D’un œil furieux, Huguette toisait l’amoureux déconfit.

— Alors c’était un piège ? Vous avez laissé errer votre cheval pour que je m’imagine… oh ! que c’est lâche, que c’est dégoûtant ! Vous êtes un goujat !

Elle repoussa la main qui cherchait à la retenir et sortit en claquant la porte.

— Eh bien ! je le sais maintenant, ce qu’elle pense de moi, dit amèrement Gaston.

— Écoute, tu vas vite rattraper Mutin et filer ventre à terre pour rejoindre Huguette et t’expliquer avec elle. Tout peut encore s’arranger, car elle t’aime, son inquiétude l’a trahie, pauvre gosse !

— Tu crois ? balbutiait Gaston tout éperdu. Mais où aura-t-il filé, ce sacré cheval ?

La Providence eut pitié du malheureux. Dans l’allée il rencontra Bernard qui ramenait le vagabond. Gaston bredouilla des remerciements, se mit en selle avec un incroyable élan et partit au grand trot.

— Que se passe-t-il ? demanda Bernard un peu surpris. Je viens de croiser Mlle de la Palud qui filait à bicyclette, des larmes sur les joues…

— C’est un malentendu entre elle et mon frère. Tu comprends, il est très amoureux et l’amour trouble parfois le jugement.

— À qui le dis-tu ! soupira Bernard avec une rétrospective contrition.

Mutin était très étonné, car son maître généralement le laissait aller d’un train nonchalant, et aujourd’hui on le pressait, on le pressait… Et aïe donc ! encore un coup de cravache ! Le galop, à présent ! On coupait à travers champs, on franchissait les ruisseaux, pour rattraper une fugitive qui commençait à se lasser.

— Si j’avais mes deux bras, je l’enlèverais, je la jetterais sur ma selle, comme dans un film de cow-boys, se disait Gaston. Je dois me borner à la dépasser… Sur cet étroit sentier, elle ne peut m’échapper.

Le cheval passa à grandes foulées dans les chaumes, revint sur le chemin et Gaston bondit à terre, barrant la route à la jeune fille.

— Écoutez-moi, je vous en supplie, Huguette, écoutez-moi ! Vous vous trompez, je ne savais pas que le cheval s’était échappé. Jamais je n’aurais imaginé un tel chantage. Je vous aime tant ! J’avais peur, en vous parlant moi-même, que vous n’osiez pas me répondre franchement, à cause… de mon bras… et j’avais chargé Christiane de parler à ma place. Mais maintenant, je suis bien obligé de le faire moi-même. Je vous aime, Huguette, est-ce que vous ne m’aimez pas un peu ?

Elle souriait à travers ses larmes, ses joues étaient toutes roses.

— Savez-vous, dit-elle, que nous sommes presque à l’endroit où, il y a plus de deux ans j’ai vu Christiane et Bernard se dire adieu ? Ah ! quel amour on lisait dans leurs yeux. Gaston, est-ce que vous êtes capable d’aimer comme Bernard ?

Gaston s’était redressé, et ses traits se durcirent.

— Je ne sais pas comment aime Bernard. J’ajouterai même que cela ne me regarde pas. Chaque homme a une manière à lui d’aimer et c’est celle qui plaît à la femme dont le cœur lui a répondu. Je n’aime pas comme Bernard ; j’aime comme Gaston, qui n’est pas un homme bien extraordinaire, mais qui a ses qualités, qui est capable surtout,