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dès aujourd’hui prendre de tes nouvelles, tant elle avait été navrée d’apprendre ton accident.

Gaston parut flatté ; on échangea des politesses, puis il s’avisa tout à coup que la charmante Huguette pourrait faire de la musique avec Christiane. Piano et violon cela se complèterait admirablement.

— Ah ça… mais… où est-elle passée ?

Mme Reillanne souriait.

— Les fiancés se sont éclipsés à l’anglaise. Je m’en suis seule aperçue, et j’ai trouvé que c’était bien leur droit.

Ils s’étaient réfugiés au fond du jardin. C’était déjà l’été, et les parterres étalaient leur gloire. Un mistral turbulent rebroussait les feuilles, rebroussait les cheveux : Le couple ivre de bonheur ne s’en apercevait pas. Les deux pauvres amoureux se regardaient, extasiés, en compensation des longs mois où les yeux de chacun avaient été privés de ceux qui faisaient sa joie. Christiane avait passé son bras sous le bras vivant de son ami, et, la tête appuyée contre son épaule levait son regard vers le sien. Ils ne parlaient pas, ils n’avaient qu’une pensée : Vous êtes là. Nous sommes réunis !

Au-dessus d’eux le ciel se déployait comme une tente royale, dont les fleurs de lys, tombées sur la terre s’épanouissaient, blanches et dorées, et les enveloppaient d’un réseau de parfum sucré.

— Bernard, dit enfin Christiane, vous aimez le jardin de l’Espériès, mais sachez que j’en possède un à moi maintenant. Et pas seulement un jardin, mais tout un domaine. Vous épousez une héritière, cher Monsieur.

Il la regardait, un peu étonné, ne sachant quel sens, imagé ou réel, il devait donner à ses paroles. Alors, elle lui expliqua tout, - ce qu’elle savait du moins - et que de sa mère lui revenait une fortune que Gaston avait transformée en biens immobiliers. Stupéfait, Bernard ne disait mot, et paraissait un peu sombre. Le malicieux Cri-Cri qui faisait rire Gaston reparut alors :

— Mon Dieu ! vous avez l’air fâché ! Vous voudrez bien de moi tout de même, malgré ma fortune ?

Elle avait un air si plaisamment suppliant que Bernard ne put s’empêcher de rire. Mais cette nouvelle bouleversait tous ses plans d’avenir. Il revoyait le petit appartement modeste où il s’était proposé d’amener sa jeune femme, sa petite vie monotone d’agent-voyer, et en regard lui apparaissait cette belle Bastide avec ses ombrages, sa ferme et ses champs, la possibilité d’une existence large et féconde…

— Mais comment pourrais-je accepter de vivre sur votre revenu ? dit-il, plus cornélien que jamais.

— Mon revenu ? Mais je n’en ai pas ! Il faudra que vous le tiriez de la terre, le revenu ! Oh ! je sais ce que vous allez dire. Mais nous garderons le fermier, qui est un bon travailleur, avec une femme et deux filles robustes. Il faut bien quelqu’un pour tout diriger. Et puis… j’ai deux bras, moi !

Bernard la serra contre lui et mit un baiser sur son front.

— Je sais que vous êtes une vaillante petite créature. Vos bras, leur rôle principal sera de se refermer - comme cela, tenez - autour du cou de votre mari, et de bercer vos enfants. Moi, je m’occuperai du domaine. Je ne suis tout de même pas impotent.

Trois mois s’étaient écoulés. Christian et Bernard étaient mariés et, pleins d’enchantement, s’adaptaient à leur nouvelle existence, sous le grand toit brun de la Bastide. Le départ du Cri-Cri avait fait un tel vide à l’Espériès que Gaston venait presque chaque jour passer un moment avec le jeune couple. Il avait repris ses forces avec une étonnante rapidité. Sa joie était grande de réussir à monter à cheval à nouveau. Du reste, Mutin semblait deviner l’infirmité de son maître et ne bougeait pas plus qu’un marbre aux moments critiques du pied à l’étrier, ou de la descente.

Huguette de la Palud s’était beaucoup rapprochée de Christiane, qui était contente d’avoir une bonne partenaire pour faire de la musique. Elles étudiaient une sonate de Grieg, dont les harmonies rares et nuancées les ravissaient. Comme par hasard, Gaston arrivait toujours au moment de ces réunions, et se proclamait un mélomane