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qui l’accompagnait, n’eut pas le temps de l’annoncer et de montrer qu’elle était devenue une femme de chambre modèle, déjà Christiane se précipitait et, avec cette spontanéité primesautière et sans artifice qui était une de ses grâces, elle se jeta au cou de celui qui était apparu.

— Ah ! ce n’était pas un rêve, vous êtes venu !

La figure osseuse, bronzée, dont les yeux clairs regardaient bien droit, se pencha vers un tendre visage extasié. Le bras unique de Bernard serra très fort le jeune être qui venait à lui de tout l’élan de son cœur.

Mme Reillanne les contemplait pensive, avec un sourire grave.

— Il y a pourtant une, loi sur la répression de l’ivresse publique, soupira Gaston. Détournons-nous discrètement, Mutin, ces effusions ne nous regardent pas !

— Oh ! pardon !

Et Christiane, toute rougissante, se retourna vers Gaston, dont la bonne humeur aurait suffi à rassurer Bernard, si son cœur ombrageux avait encore nourri quelque soupçon. Évidemment, le contact avec Mme Reillanne ne fut pas exempt de froideur, d’embarras.

Mais il y avait un tel contraste entre son arrogance ancienne et sa douceur actuelle que généreusement, le jeune homme résolut de passer l’éponge sur le passé. Elle leva sur lui un regard implorant qui le confondit, car il ne pouvait deviner ce sentiment qu’elle avait, d’être responsable du malheur de son fils.

— Dis-moi, Cri-Cri, est-ce gue tu ne trouves pas que ce cheval est de trop dans la conversation ? Il est bien gentil, mais si on le laisse faire, toute ma ration de sucre y passera.

Gaston, de sa main valide, essayait en vain d’écarter Mutin, qui ayant renversé le sucrier, se régalait. L’incident fit une heureuse diversion à la gêne qui marquait le début de l’entretien. En riant, Christiane prit la bride du cheval et l’entraîna après une dernière caresse de son maître. Celui-ci, plein de tact, se mit à interroger Bernard sur ses occupations.

— Je te regarde avec admiration, dit-il, tu as magnifiquement tiré parti des possibilités qui te restaient. J’espère que tu me donneras des conseils, à présent que nous sommes logés à la même enseigne, ou presque. Ah ! il faudra m’aider beaucoup. Tu étais déjà mon grand ami, mais à présent tu vas devenir mon frère.

— Frère de misère, murmura Bernard.

— Non, non, mon véritable frère, par ton mariage avec Christiane.

Et, devant l’air ahuri de Bernard :

— On peut tout lui raconter, n’est-ce pas, mère, puisqu’il va faire partie de le famille ?

Mme Reillanne acquiesça. Son visage triste était un peu pâle, car elle se souvenait de la scène terrible qu’avait provoquée la révélation du scandale ancien.

— Eh bien voilà, vieux frère, j’insiste sur le mot ; figure-toi que Christiane est ma sœur de la main gauche. Personne ne s’en doute, sa mère est morte et notre père est mort. Seulement, il est juste que toi, son futur mari, tu sois au courant de l’histoire. Je suppose que cela ne change rien à tes sentiments ? interrogea-t-il, un peu alarmé par le silence de Bernard.

— Bien entendu, mais… ah ! c’est formidable. Il songeait à l’histoire entendue la veille.

— Qu’est-ce qui est formidable ? demanda Christiane, apparaissant entre les lauriers-roses.

— La gentillesse de ma petite sœur, dit Gaston avec un tendre sourire. Oui, je lui ai tout raconté. Mets-toi près de lui, vous avez été assez longtemps séparés. Et même, si vous avez envie de vous promener dans le jardin, d’où les roses nous envoient de tels parfums que j’en suis un peu gris, allez, mes enfants, je ne vous retiens pas !

Déjà, Christiane saisissait le bras de son fiancé quand, à nouveau, la sonnette retentit.

— Ah ! ça, quel est l’importun… maugréa Gaston. On ne peut même pas fiancer tranquillement sa sœur sans que tout le voisinage rapplique. Cachez-vous, vous deux.

Ils tentèrent de mettre à profit cet amical conseil, mais ils avaient à peine fait dix pas dans l’allée que déjà l’impeccable Mariette annonçait :

— Mademoiselle et Monsieur de la Palud.