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— Ah ! Bernard, chère ombre, venez vite m’éveiller en vous matérialisant.

Mais le rêve se poursuivit car, à déjeuner, elle apprit qu’elle était châtelaine ! Gaston, pour la première fois, avait pu descendre à table. Il avait insisté pour le faire ce jour-là, afin de jouir de la surprise de sa sœur dont il épiait les réactions avec une joie d’enfant.

— Morphée va fort, dit-elle en fin, en posant les papiers qui établissaient ses droits.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Ah ! Gaston, je suis persuadée que je rêve. Tout est irréel aujourd’hui et ceci plus que le reste ! J’ai vingt et un ans, Bernard va revenir et je suis propriétaire d’un domaine ! De cette ravissante Bastide qui me plaisait tant avec son lierre, sa glycine et sa vigne ombreuse en berceau !

— Eh ! bien, tu ne rêves pas, mon Cri-Cri, donne ta main que je te pince !

— Aïe, je te crois, mais je ne peux pas accepter un tel cadeau, c’est impossible !

— Ce n’est pas un cadeau, Cri-Cri, c’est ta part légale de l’héritage des Reillanne. Du moins, sa valeur, car je prétends avoir droit à toute ta gratitude pour avoir su te trouver un beau petit domaine qui t’ira comme un gant et pour lequel Bernard sera un maître splendide. Il te faudra aussi remercier ma mère de t’avoir permis par d’innombrables exercices pratiques, de t’initier à tes futurs devoirs.

L’œil narquois du frère accrocha celui de la sœur, un sourire trembla sur leurs lèvres.

Mme Reillanne avait détourné la tête.

Christiane se leva tout à coup et vint l’embrasser. Sans savoir pourquoi, elle en avait soudain pitié.

— Mais oui, dit-elle généreusement, à son école j’ai appris beaucoup de choses, et je suis heureuse d’avoir pu lui être utile. Elle avait une bien lourde tâche.

La tête aux nattes d’onyx veiné s’inclina gracieusement, la main-de-justice se détendit pour caresser la joue fraîche :

— Vous êtes une charmante enfant, Christiane, et vous avez été pour moi une aide précieuse.

— Comme elle est changée, se disait la jeune fille. Le malheur de Gaston l’avait durement frappée, mais il y a autre chose, elle s’efface maintenant devant lui. C’est lui qui décide à présent. Que s’est-il passé ? Cette histoire d’héritages, est-ce vraisemblable ? Ah ! je ne saurai sans doute jamais la vérité !

Vers les 2 heures, on installa Gaston dehors dans un fauteuil et l’on poussa près de lui un guéridon afin de prendre le café sur la terrasse ombragée qui précédait le jardin. Christiane sauta tout à coup sur ses pieds.

— Mon cher frère, je vais t’amener quelqu’un qui voudrait te présenter ses vœux.

Ses yeux brillaient comme la pierre précieuse dont Gaston n’avait pu trouver le nom.

Il la regarda intrigué :

— Bernard ? Non, ce n’est pas ainsi qu’elle l’eût annoncé ! Alors ?

Déjà elle était partie en courant et bientôt elle revint, riant aux éclats et l’on entendait des sabots clapoter sur les dalles.

— Mutin ! s’écria Gaston ravi.

Le cheval s’arrêta net en voyant son maître. Il pointa les oreilles, dilata les naseaux et gratta le sol du pied en hennissant de joie. Puis écharpant des mains de Christiane et bousculant le guéridon, il fonça vers le jeune homme. Avec des petits renâclements très expressifs, il lui glissa son nez sur l’épaule et caressa doucement son cou, ses cheveux.

— Arrête, idiot ! tu me souffles dans l’oreille, tu me chatouilles ! disait Gaston en riant.

Mais de sa main valide, il flattait tendrement l’encolure soyeuse et l’on ne savait, du cheval ou de lui, lequel était le plus heureux.

Soudain la sonnette du portail retentit. Ce pouvait être un voisin, un importun, mais Christiane sentit avec certitude que c’était lui, en fin, celui qu’elle aimait. Son cœur se mit à battre à coups si violents qu’ils se propageaient jusqu’à sa gorge et elle resta immobile, les yeux fixés sur la porte-fenêtre d’où allait surgir le visiteur. Mariette,