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la loi, à te frustrer ! Les héritiers étaient morts, les deux fils Reillanne tués dans un accident d’auto. Il ne restait que cette Marthe. Je me suis opposée de toutes mes forces à un partage de biens : ton père n’a pas osé te dépouiller en faveur de sa maîtresse.

Très pâle et les yeux brillants d’indignation, le malade se redressa sur ses coussins :

— Mais, après sa mort, vous avez su qu’il restait une héritière, une toute petite héritière et c’est elle que vous avez frustrée ! Vous, qui étiez entrée à l’Espériès sans un sou, vous que mon père avait richement dotée, vous avez osé dépouiller sa fille !

La mère et le fils étaient dressés l’un contre l’autre, comme de furieux adversaires et Mme Reillanne, dédaigneuse de se chercher des excuses, avouait fièrement ce qu’elle avait fait !

— L’affaire avait été jugée et ces complications de successions ne me regardaient pas. Je ne connaissais que deux choses : les droits de mon fils et les miens. J’ai supprimé tout ce qui pouvait y porter atteinte. Et c’est toi, toi qui oses me le reprocher ! Fils indigne, tu oses défendre contre moi l’enfant de l’adultère !

Épuisé, Gaston tomba en arrière avec un gémissement :

— Oh ! mère chérie, murmura-t-il, est-ce possible que tu m’aies aimé jusqu’à la malhonnêteté ? Toi que j’admirais tant…

Sa voix s’éteignit, il devint blême et sa tête s’inclina sur l’épaule. Bouleversée par cette douleur soudaine et par cette faiblesse elle se précipita à son chevet.

— Mon Dieu ! il se trouve mal ! Je l’ai laissé parler, s’exciter… Gaston, mon trésor, reviens à toi, je t’en prie. Regarde-moi. Ah ! il ouvre les yeux ! Je t’en supplie, pardonne-moi. C’est par amour pour toi que j’ai agi et je pensais bien plus à tes droits qu’aux miens.

— Je le crois, maman.

Il regardait avec un étonnement presque craintif les larmes qui trempaient le beau visage fier. Il n’avait jamais vu pleurer sa mère.

— Comment oserais-je condamner un si grand amour. Maman — sa main droite attira la tête inclinée qu’il pressa contre sa joue — maman tu avais raison, je suis un fils indigne. Je n’ai pas le droit de te faire un reproche. Mais, je te supplie de réparer une injustice que tu as exécutée et dont j’ai bénéficié. Regarde, comme nous sommes punis.

Ses yeux se tournèrent vers le pauvre bras mutilé que soutenait un appareil.

— Tu crois que c’est à cause de ce que… dit-elle avec une sorte de crainte superstitieuse.

— Hé ! qu’en sais-je ? Oh ! mère, je t’en supplie, ne prends pas à nouveau cet air torturé, cela me fait trop de peine.

Un coup léger à la porte annonça le retour de Christiane.

— Il y a une ruche… commença-t-elle en entrant. Mais elle s’arrêta en voyant les figures encore bouleversées de la mère et du fils.

— Gaston n’est pas plus mal ? Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi me regardes-tu ainsi, Gaston ?

— Je cherche sur ton visage une ressemblance. Mais oui ! la coupe du front, du nez, du menton, toute la structure de la tête, en somme, c’est frappant. Dire que je ne l’avais jamais vu !

— Quelle ressemblance ? Explique-toi, voyons !

— Ah ! Comment lui dire cela sans tomber dans le mélodrame ! Écoute Cri-Cri, est-ce que tu te souviens de ton père ?

— Très vaguement. Quand j’étais toute petite, il me faisait sauter sur son genou…

— Moi aussi. Je veux dire que ton père était également le mien. Que tu es ma sœur, là, et que je suis bien désolé de ne pas l’avoir su plus tôt.

Christiane restait figée sur place, les yeux grands ouverts :

— Alors, c’est pour cela ! dit-elle enfin.

— Comment, « c’est pour cela » ?

— C’est pour cela qu’il ne pouvait pas épouser ma petite mère. Il était déjà marié. Mais alors…

Elle regarda Mme Reillanne assise auprès du lit. Et, par un mouvement d’une spontanéité charmante, elle se jeta à ses genoux :