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La jeune fille n’eut que le temps de retenir la mère qui défaillait. Faiblesse passagère : Mme Reillanne se ressaisit aussitôt :

— Je suis sotte ; Gaston s’est mis à l’abri quelque part et Mutin, affolé par l’orage se sera échappé… Tout de même, il faudrait faire des recherches.

Ses dents claquaient. Christiane prit le cheval par la bride, et le conduisit dans la cour de la ferme. Une lumière brillait encore chez le bayle. Elle frappa à sa porte :

— Excusez-moi, Joson. Mutin est revenu seul. Nous craignons qu’il ne soit arrivé un malheur.

Il y eut des exclamations d’effroi :

— Mon Dieu ! vous êtes trempée, Mademoiselle, dit le bayle. Donnez-moi ce cheval, je vais le faire bouchonner par Césaire. Et entrez vous sécher. Nous ne sommes pas couchés, rapport à l’orage. Il aura fait bien du dégât. Et si Monsieur Gaston… Nous partirons tout de suite, mon fils et moi.

L’homme, grisonnant, mais droit et vigoureux, se hâtait, boutonnant son grand manteau de berger. Son fils préparait le falot-tempête, et sa femme, empressée, jetait dans l’âtre des brassées de sarments pour réchauffer Christiane.

— Merci, merci. Mais Madame m’attend…

— Jetez cela sur vous, au moins !

Elle lui posait un vieux châle sur la tête et les épaules, l’enveloppait maternellement.

— Mademoiselle ! — le valet, qui avait emmené le cheval, apparut tout à coup, bouleversé — Mademoiselle ! Mutin a du sang sur l’épaule. Et il n’est pas blessé !

— Ah ! mon Dieu ! Accompagnez Joson, alors. Et prenez… il y a une civière quelque part, je crois ?

— Oui, Mademoiselle, dans la remise.

— Emportez-la. Et prévenez en passant le Dr Brémontier qu’il vous accompagne avec sa voiture.

L’attente reprit, plus cruelle. Bien que Christiane n’eût pas osé dire à Mme Reillanne l’inquiétante découverte de Césaire, elle se rendait compte qu’il fallait à cette mère une force d’âme peu commune pour conserver un calme apparent dans de telles circonstances. Ah ! si elle avait vu ce sang, aurait-elle pu ne pas trahir son angoisse ? Christiane, qui savait, avait peine à dissimuler son tourment, car elle éprouvait une réelle amitié pour son cousin.

À mesure que le temps passait, la mère sortait de plus en plus souvent pour écouter, pour tâcher de voir…

L’orage avait diminué d’intensité, mais la pluie tombait toujours à flots. La belle tête à l’impeccable diadème d’onyx veiné était toute échevelée, des mèches mouillées se collaient aux joues pâles. Repoussées sans cesse par des mains nerveuses, les nattes se défirent soudain, et Mme Reillanne apparut comme découronnée, dépouillée de son grand air royal. Christiane ne vit plus en elle qu’une femme douloureuse et, compatissante, jeta sur ses épaules, à son tour, le vieux châle de la femme du bayle.

Il était près de deux heures quand on ramena Gaston. Blême et trempé comme un noyé, il gisait évanoui au fond de la voiture du médecin. On avait mis sur lui une couverture et le bayle le soutenait comme un enfant. Les hommes qui s’étaient serrés comme ils avaient pu dans l’auto, car la marche était presque impossible sur la route coupée de torrents, semée de débris, où la voiture même n’avait pu passer qu’avec une grande prudence, descendirent avec des figures décomposées qui accrurent l’angoisse de Christiane.

— Là, approchez la civière. Doucement, ne le secouez pas…

Droite et tragique, Mme Reillanne regardait sans rien dire.

Mais quand son fils fut dans le vestibule, quelqu’un enleva la couverture et elle vit dans les lambeaux des vêtements coupés par le médecin, la blessure épouvantable : le bras droit écrasé au-dessus du coude, l’os perçant les chairs. Alors, elle eut un cri atroce :

Gaston ! non, ce n’est pas possible… Son bras, mon Dieu ! Docteur, faudra-t-il l’amputer ?

Le médecin eut une moue, un geste évasif :