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La France fera comme nous, elle se remontera. J’oserai dire que notre attitude en est une garantie.

De chaleureuses approbations lui montrèrent qu’il avait touché juste. Dès lors, ils travaillèrent avec plus d’acharnement. À l’automne, Bernard rentrait à Nîmes plein d’espoir.

Roger Soubeyran l’accueillit avec joie. Mais Bernard ne tarda pas à sentir chez son ami, non pas exactement une réticence, mais une sorte de gêne. Roger était trop candide pour dissimuler. Sa joie était réelle, alors qu’y avait-il ? Bernard le confessa. Plus rouge qu’une cerise, le jeune pharmacien avoua tout. Il avait rencontré une jeune fille, oh ! mais une jeune fille !… Les mots lui manquèrent. La langue française, évidemment, n’était pas assez riche pour qualifier dignement une telle merveille. Et il était fiancé, et désireux de se marier au plus vite.

— Car elle est orpheline, et si courageuse ! Toujours de bonne humeur, toujours souriante. Mais comment allons-nous faire ? L’appartement est si petit, et impossible d’en trouver un autre…

— Mon pauvre vieux, interrompit Bernard, dépêche-toi d’épouser ta petite orpheline. Tu ne t’imagines pas que je voudrais rester en tiers dans votre ménage ? D’autant plus que… Non, j’irai me caser ailleurs.

— Mais Jeanine sera désolée ! Je lui ai tant parlé de toi ! Et puis, qu’as-tu voulu dire par : d’autant plus que… As-tu peut-être aussi des projets ? Oh ! ça, alors, ce que j’en serais heureux !

— Non, non, ne va pas t’imaginer un roman. Je voulais dire que… heu… que je ne trouve pas de travail à Nîmes et que je ferais bien de tenter ma chance dans une ville plus grande, à Marseille par exemple.

Mais Roger demeura persuadé que son ami avait un secret, en quoi son affectueuse intuition ne le trompait pas. Il fit part de son inquiétude à sa fiancée.

— Je voudrais bien savoir ce qu’il me cache. Je pensais d’abord qu’il allait aussi se marier. Mais il n’a pas l’air heureux, et puis… il ne reçoit jamais de lettres.

Jeanine écoutait d’un air réfléchi.

Elle était petite, brune, avec un teint mat et des yeux noirs très doux, mais sa beauté n’était parfaite que pour celui qui l’aimait, et s’il la trouvait toujours souriante, c’est que l’amour avait enseigné le sourire à une petite bouche qu’auparavant la tristesse ne quittait guère.

Elle s’arrangea pour se trouver seule, un jour, avec Bernard.

— C’est parce que vous craignez le spectacle de notre bonheur, n’est-ce pas, que vous voulez nous quitter ?

Il fut interloqué, puis bafouilla des excuses :

— Mais non, voyons ! Mais l’appartement… Je vous dérangerais… Et puis, ma situation… les difficultés…

— Bernard, vous êtes malheureux. On sent que vous avez un poids sur le cœur. Est-ce que vos amis n’ont pas le droit d’avoir une part de vos peines ?

Il y avait trop longtemps qu’il se taisait, qu’il remâchait l’amertume de son insuccès. Cette petite paraissait si compréhensive… Il lui raconta tout. Elle écoutait avec attention, posant par instant sur le jeune homme son regard profond.

— Voyez-vous, concluait Bernard, si dure qu’elle ait été, sa tutrice avait raison. Christiane est si jeune, si enthousiaste. Elle a pu s’imaginer de bonne foi qu’elle m’aimait, alors qu’elle ne ressentait pour moi que de la pitié…

Jeanine s’anima, elle eut un haussement d’épaules agacé.

— Si jeune, dites-vous ? On peut connaître son cœur à dix-neuf ans ! J’en ai vingt-deux, mais si, à dix-neuf ans, j’avais rencontré Roger, je l’aurais aimé comme aujourd’hui. Nous aurions été heureux trois ans plus tôt, voilà tout. Votre cas est un peu différent. Je comprends très bien votre désir de prouver à cette Mme Reillanne que vous êtes capable de gagner votre vie, et Christiane — pardon si je l’appelle ainsi se montre très crâne en voulant vous prouver, à vous, le sérieux de ses sentiments. Vous l’avez, son billet ?

Bernard sortit de son portefeuille le papier usé aux bords. « Il a été déplié bien des fois », se dit Jeanine. Elle le lut, sourcils froncés.

— Elle a raison, votre Christiane, et c’est vous qui lui faites injure en doutant d’elle.