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Mme Devilliers, l’institutrice, en se penchant à l’oreille de Simone.

Mais la petite expliqua, se libérant ainsi de toute gratitude :

— C’est pas pour moi !… c’est pour Jean, que grand-père a permis !…

Les enfants savaient que M. d’Erdéval préférait Jean et ils n’étaient nullement jaloux. Ils trouvaient leur frère si beau, si solide, et surtout si bon garçon, qu’ils admettaient que l’on s’attachât plus à lui qu’à eux. Chacun des enfants aussi préférait Jean, mais, mieux que le grand-père, dissimulait cette préférence qu’il jugeait blessante pour les autres.

Mme Devilliers insista maladroitement :

— Mais, M. le marquis fait ça pour vous faire plaisir à tous !…

— Pas du tout ! y n’aime que Jean ! Pas, grand-père, que vous n’aimez qu’Jean ?…

— Ton frère est l’aîné… — dit M. d’Erdéval avec un peu d’embarras — et il est assez naturel que…

Le comte intervint :

— Voyons, papa ! vous n’allez pas donner d’explications à cette moucheronne, je pense ?

— Des explications… non !… évidemment… et pourtant je ne voudrais pas que Simone crût que je ne l’aime pas… ni ses frères non plus !… Aujourd’hui, j’ai cédé à la demande de Jean parce que…

— L’important c’est qu’vous ayez cédé, grand-père… — déclara Olivier qui était rempli de philosophie et de bon sens — et que vous permettiez de prendre la gosse,

— La gosse !… Ah ! oui !… parlons-en !… et d’abord où va-t-on la mettre ?… et qui est-ce qui va s’en occuper ?…

— On pourrait — proposa Mme d’Erdéval — la donner à la mère Orson… c’est une bonne femme… elle aurait bien soin de la petite et lui apprendrait son métier.

La mère Orson, « la femme des vaches » comme on disait, s’occupait de l’étable et de la laiterie. Depuis plus de quinze ans elle soignait les vaches. Quand le marquis était revenu se fixer à Saint-Blaise, il avait cherché une femme « de confiance » pour les bêtes du château.

Deux vaches et deux chèvres — qu’on attelait à une voiture pour amuser les enfants quand ils étaient tout petits, et que l’on conservait par affection pour les vieilles compagnes de leurs jeux — occupaient la mère Orson. Elle aimait ses bêtes, et son étable et sa crémerie étaient bien tenues. C’était une excellente créature, pleine de bonne volonté et de vaillance, et qui, quoique Normande, ne buvait jamais. Elle serait douce pour la petite et la soignerait proprement. Après, on verrait, comme disait Jean.

— Qu’est-ce qu’y fabrique ce champêtre d’malheur ?… — demanda Jacques tout à coup — il y a longtemps qu’il devrait être revenu !…

— Le v’la ! — annonça Simone, grimpée sur les barreaux de sa chaise pour regarder, par la fenêtre placée en face d’elle — le v’là qui s’amène !…

Le garde champêtre entra au milieu d’un silence attentif et curieux. Il tenait par la main une petite fille si grande qu’elle semblait avoir dix ans, et si étonnamment belle que tous en furent surpris.

— Mâtin ! qu’elle est jolie !… — s’écria M. d’Erdéval — et qu’elle a l’air intelligent !…

— C’est vrai !… — dit le marquis que cette beauté séduisait presque — elle est rudement jolie !.. Comment s’appelle-t-elle ?…

— Comment t’appelles-tu ?.. — demanda Mme d’Erdéval — en prenant la main de l’enfant.

La petite, sans répondre, leva sur elle ses yeux lumineux et profonds.

— Alle parle point beaucoup !… — expliqua le garde champêtre — alle était toujours seule… les aut’s éfants n’jouaient point avec. Allons ! voyons !… dis à Mme la comtesse comment c’est qu’tu t’appelles ?…

Puis, comme la petite fille continuait à promener silencieusement son regard bleu autour d’elle, le bonhomme acheva avec humeur :

… Tu n’veux point ?… t’es qu’une petite sotte !… Madame la comtesse, alle s’appelle Micheline…

— Non, point !… — dit l’enfant avec énergie — je m’appelle…

Elle balbutia très vite un mot que l’on n’entendit pas nettement. Et, se penchant vers elle, Mme d’Erdéval demanda, très douce :

— Comment as-tu dit ?…

— Elle a dit Miche, parbleu !… — s’écria Jean qui avait à moitié deviné, à moitié entendu.

La petite le regarda avec une reconnaissante admiration. Et son regard intense et profond semblait dire :

— À la bonne heure !… en voilà un qui me comprend !…

— Est-ce bien Miche ?… — demanda la comtesse.

D’une voix ronde et pure, l’enfant répondit :

— Oui… c’est Miche !…

— Ah ! enfin !… tu veux bien parler !… Quel âge as-tu ?…

— . . . . .

— Tu ne sais pas ?… Tu ne veux pas le dire ?…

Jean s’écria en riant :