Page:Gyp - Miche.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

alors d’affectueuses protestations et de caresses.

Mais lorsque Antoine fut devenu un jeune homme, M. d’Erdéval se fixa près de lui et l’associa carrément à sa vie mondaine sans craindre — lui qui était demeuré si étonnamment jeune — de se vieillir en montrant ce grand fils.

Il le maria très bien et s’intéressa à sa femme et à ses enfants, surtout à l’aîné, son filleul, qu’il eût préféré fils unique et qu’il disait vouloir avantager.

— Un grand-père… — répétait-il volontiers — a le droit d’avoir une préférence et de la marquer. Jean est l’aîné… il sera le chef de la famille… il est aussi le meilleur et le plus beau. c’est à lui que je donnerai Saint-Blaise…

Et comme le petit, comprenant vaguement ces belles promesses, ouvrait tout grands ses yeux bleus qui questionnaient, il ajoutait, appuyant contre lui l’enfant d’un geste protecteur :

— Oui, mon chéri, tu es le préféré de grand-père !… et quand tu feras des bêtises, Tu viendras les raconter à grand-père qui les paiera…

Car il fallait que Jean fît des bêtises !.. Tous les Erdéval en avaient fait. Il ne saurait mentir à la race. Il serait un Erdéval de derrière les fagots.

Et le petit bonhomme, à force de s’entendre répéter cette même phrase, gravait dans sa tête la promesse qu’elle renfermait. Si bien qu’un jour où un ami s’amusait, pour le faire parler, à lui poser des questions sur sa famille, M. d’Erdéval surprit cette réponse qui le stupéfia :

— Y a p’pa, m’man, Olivier, Jacques, Simone .. et grand-père qui paiera les bêtises que j’frai…


Tandis que les quatre enfants écoutaient, s’intéressant au « petit » de la Florine, le garde champêtre expliqua :

— Les sœurs peuvent point prendre d’embarras… vu qu’alles savent point si alles seront core ici demain, monsieur l’marquis..

— Quel âge a l’enfant ?… — demanda Mme d’Erdéval.

— Dans les cinq ou six ans… alle est grande et forte…

— C’est une petite fille ?..

— Oui, madame la comtesse. un’ belle petite fille pour c’qu’est d’ça !… qu’ c’est vraiment malheureux d’abandonner à l’Assistance…

Depuis un instant les enfants et la gouvernante échangeaient d’un air affairé de mystérieuses paroles. À la fin, Simone dit délibérément :

— Faut la prendre à la maison, grand-père ?…

— Tu es folle !… répondit sans hésiter M. d’Erdéval.

La petite lança à son frère aîné un regard de détresse.

— Demande, toi ?… à toi, grand-père dira oui…

— Grand-père !… — commença Jean câlin — ça nous ferait tant plaisir de prendre la petite fille… voulez-vous nous la donner, dites ?…

Et comme le marquis se disposait à protester, il l’interrompit brusquement…

— Vous voulez bien, grand-père ?… au moins pour tout de suite ?… après, si vous ne voulez pas la garder. ben, on verra !

— Je ne veux pas du tout prendre cette enfant !.. l’enfant d’on ne sait qui !…

— C’est pas d’la Florine ?.. — demanda Simone en écarquillant les yeux.

— Si, mais… et puis, fais-moi le plaisir de occuper de ce qui te regarde !… Ça n’est pas la peine de te cacher pour ça !…

Simone venait de disparaître à moitié sous la table, mais ce n’était pas pour se cacher. Elle s’efforçait seulement d’allonger à Jean un coup de pied stimulant.

— Qu’est-ce qu’y faut dire à M. l’curé ?… — demanda le garde qui attendait.

— Que grand-père veut bien prendre la gosse !…

Et comme M. d’Erdéval protestait de nouveau :

— En attendant, grand-père ?… en attendant seulement !… Oh ! oui, dites ?… M’man s’en occupera… pas, m’man ?…

— Très volontiers mais tu ennuies ton grand-père.

Jean répondit avec aplomb :

— Grand-père est enchanté d’être ennuyé par moi !

Puis, comprenant l’énormité de cette affirmation, il corrigea :

— Je veux dire par nous !… Merci, grand-père !…

Il repoussa du talon sa chaise, qui recula en faisant gémir lamentablement les dalles de marbre, et courut vers la porte en disant :

— J’vais la chercher !…

À sa suite, Simone s’élança en criant :

— Pas sans nous, donc !… pas sans nous ! Tandis qu’Olivier et Jacques se levaient brusquement.

Mais le marquis se fâcha.

— Asseyez-vous tous !.. — ordonna-t’il — Letellier amènera l’enfant ici !… c’est absurde !… mais enfin…

— Remerciez bien grand-père !… — dit