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venait d’avoir, était causée par l’homme devant lequel il s’était mis à plat ventre et qu’il avait comblé de bontés depuis douze ans. Puis, pensant à la culbute de son favori, il tourna vers la fenêtre un regard inquiet.

Le magistrat surprit ce regard.

— Rassurez-vous, monsieur… — dit-il en souriant — Malansson ne s’est pas fait grand mal !… c’est le brigadier de gendarmerie qui l’a reçu… Il est en sûreté…

— Où donc est passée Miche ?… — demanda Jean, qui ne voyait plus la jeune fille.

Le Procureur de la République questionna :

— Miche ?… est-ce Mlle Fanel ?…

Mlle Fanel ?… — murmura Jean, stupéfait d’entendre appeler ainsi Miche, dont il avait presque oublié le nom.

— Oui !… Ah !… c’est vrai !… Vous ne savez rien !… je vais vous expliquer ça tout à l’heure !…

— Vous n’avez pas dîné ?… — dit le marquis, redevenant soudain hospitalier et aimable. — Je vais tâcher de vous faire servir quelque chose tant bien que mal… Et puis, à moi aussi, vous m’expliquerez… car il me semble que je deviens fou !…


XIX


Quand le domestique eut déposé, dans le salon, le plateau où était le café, M. d’Erdéval demanda au Procureur de la République :

— Vous nous avez promis de nous raconter…

— Voici… — dit le magistrat — hier soir… vers neuf heures à peu près, à l’instant où je sortais de table, on est venu me dire qu’une paysanne extraordinairement belle voulait à toute force me parler… On avait essayé de la renvoyer… de lui dire qu’elle me verrait au Parquet le lendemain… elle ne voulait rien entendre…

— Dame !… — fit Jean qui rentrait dans le salon après avoir cherché vainement Miche, qui n’avait pas reparu depuis sa lutte avec Anatole.

— Tu ne l’as pas trouvée ?… — demanda le vieux marquis.

— Non, grand-père !… mais les domestiques disent qu’à l’heure du dîner elle va venir, comme chaque soir, chercher du pain qu’elle mange dans sa chambre… Elle ne dîne plus depuis quelques jours…

— Oui !… — dit le magistrat — elle ne dînait plus, parce qu’elle voulait être dans la bibliothèque, à l’heure où Malansson menaçait habituellement monsieur votre grand-père… Elle assistait… par un trou qu’elle avait percé dans le plancher et le plafond… aux scènes qu’il lui faisait, de préférence. pendant les repas des domestiques, parce qu’il savait qu’il ne serait pas dérangé…

— C’est vrai !… balbutia le marquis étonné — mais comment savez-vous ça ?…

— Parce que Mlle Fanel me l’a dit… — répondit le procureur.

— Miche vous a dit quelque chose ?… — fit Jean ahuri.

— Elle m’a raconté tout ce qui se passait, et comment il fallait s’y prendre pour pincer Malansson tout à l’heure…

— Comment ?… Elle parle ?…

— Si elle parle ?… — répéta le magistrat, stupéfait à son tour — mais elle parle même très bien… et elle écrit encore mieux !… Elle m’a remis une sorte de mémoire pour que, aujourd’hui, je fasse filer Anatole, qui devait aller chez un homme d’affaires véreux de Saint-Lô… et ce mémoire est extraordinaire de clarté et d’élégance…

— Miche vous a remis un mémoire ?  ?  ?…

— Oui !…

— Mais elle ne sait pas écrire !…

— Je parle… — dit le magistrat — de la jeune fille qui nous a envoyé Malansson par la fenêtre ?… Nous nous entendons bien ?…

— Mais oui… seulement…

— Si nous écoutions ce que nous racontait M. le Procureur de la République ?… — proposa Olivier.

— J’ai donc reçu Miche… puisque Miche il y a… — reprit le Procureur — elle m’a raconté des choses que je savais déjà sur le compte de Malansson… d’autres que j’ignorais… Par exemple, qu’il avait menacé hier M. d’Erdéval, qu’il en avait obtenu la promesse d’une donation qui serait signée ce soir vers sept heures, et que, dans la journée, il viendrait sûrement chez l’individu louche qui lui rédigeait le projet de donation… Déjà, elle avait surpris plusieurs conversations entre cet homme et Malansson… elle m’engageait à le faire filer quand il arriverait à Saint-Lô par le train de deux heures… ce que j’ai fait…

Et puis, elle m’a demandé de vous prévenir, Monsieur… — continua le magistrat en se tournant vers le comte d’Erdéval — et c’est elle qui a écrit la dépêche, et qui à pensé à vous rassurer tout d’abord sur monsieur votre père, afin que vous ne pensiez pas qu’il lui était arrivé un accident…

— Pauvre Miche !… — fit Olivier…

Mlle Fanel… — reprit le Procureur — tient surtout à préserver les droits et la fortune de celui qu’elle appelle « monsieur Jean ».

— C’est moi !… — dit Jean très ému.

— Eh bien, monsieur, Miche a pour vous