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elle fit mine de dévisser l’autre boulon, et de le mettre dans sa poche.

— C’est clair !… — dit Jean — elle a vu Anatole dévisser le boulon et le mettre dans sa poche… C’est exquis !… Saint-Blaise n’était déjà pas très rigolo en soi, mais à présent ça devient impossible !…

— Le fait est… — avoua Yves de Bray que ça n’est pas très aimable de t’avoir fait ça !… et quand tu as un camarade avec toi, surtout !…

— Mon pauv’vieux !… si j’avais su, je ne t’aurais pas amené !…

— Pour moi ça m’est bien égal, tu penses !… c’est pour toi que le procédé manque de grâce !

— Je ne reviendrai plus à Saint-Blaise !… Autrefois je pensais que notre présence aux uns ou aux autres ne déplaisait qu’à Anatole… à présent je crois qu’elle déplaît à grand-père aussi !… Toutes les dernières années où papa et maman sont venus, il y a eu quelque histoire entre Olivier, ou même les deux petits, et cette crapule… Il vaut beaucoup mieux, que, dorénavant, chacun reste chez soi !…

— Qu’est-ce qu’a donc Miche ?… — demanda Yves tout à coup — elle pleure !…

Jean se tourna vers la jeune fille.

— Miche ?… — fit-il en s’approchant d’elle — Miche ?… qu’est-ce que tu as, mon petit ?…

Il voyait toujours en elle la gosse qu’il avait prise sous sa protection douze ans plus tôt. Il entoura de son bras les épaules de Miche en répétant, affectueux et apitoyé :

— Dis ce que tu as, mon petit ?… voyons !… Tâche de me faire comprendre ?…

Alors Miche s’appuya sur Jean et cachant son visage contre lui se mit à sangloter nerveusement, tandis qu’il répétait étonné :

— Qu’est-ce qu’elle a ?… qu’est-ce qu’elle peut bien avoir ?…

— Elle a qu’elle t’aime, parbleu ?… et qu’elle t’a entendu dire que tu ne reviendras plus !…

Jean éloigna de lui la jeune fille et, la regardant au fond des yeux :

— Miche ?… — demanda-t-il — est-ce que tu as entendu ?… est-ce que tu entends ?…

Les grands yeux de Miche conservèrent leur même expression de profonde tristesse. Mais elle ne fit aucun signe, elle ne bougea pas.

— Tu vois bien !… — fit Jean — si elle entendait elle saurait nous faire comprendre qu’elle entend.

Miche ne pleurait plus. Elle entra dans la remise des charrettes, prit une brouette et s’éloigna de son pas souple et rythmé.

— Elle est extraordinaire !… — fit Jean.

— Elle t’adore, voilà tout !…

— Que non !… D’ailleurs, comme je ne reviendrai plus, c’est sans inconvénient !…

— Voyons ?… qu’est-ce que nous faisons ?… je n’ose pas t’offrir d’aller à pied au Château du-Fou ?…

— Mais si !… Allons !… ça m’est bien égal d’aller à pied ou autrement !…

Le soir, le grand-père et le petit-fils se trouvèrent seuls un instant :

— Il me déplaît, ton ami de Bray !… — dit le marquis.

Jean pensa :

— Anatole a travaillé !…

Mais il jugea inutile de rappeler au vieillard que, la veille au soir, il lui avait dit que son ami « était très gentil »

XV


Un matin, à Auteuil, M. d’Erdéval, qui dormait plus tard que de coutume, s’éveilla en entendant ouvrir la porte de sa chambre. Et, stupéfait, il aperçut son père qui le regardait souriant.

— Oui… c’est moi !… — dit le marquis — je suis arrivé hier soir…

— Arrivé ici ?… — fit M. d’Erdéval — complètement abruti.

— Non, à Paris…

— Comment, à Paris ?… Pourquoi n’es-tu pas descendu à la maison ?…

Parce que nous avons une masse de choses à faire à Paris…

— Bon !… — pensa Erdéval — mossieu Anatole est là aussi !… et c’est lui qui a défendu à papa de loger à la maison…

Il garda pour lui cette réflexion et demanda simplement :

— Tu déjeunes avec nous ?…

— Oui… volontiers !…

— A quel hôtel es-tu descendu ?…

— Dans un petit hôtel excellent… rue de Naples…

— Ah !… — fit Erdéval de plus en plus ahuri.

Il se levait rapidement, tandis que Mme d’Erdéval, prévenue, arrivait avec les enfants.

En déjeunant, le vieux marquis dit :

— J’ai beaucoup de courses à faire aujourd’hui !… je vais m’en aller de très bonne heure !…

— A quelle heure veux-tu partir, papa ?… demanda M. d’Erdéval… — je te reconduirai…

— Ça ne va pas te déranger ?… Eh bien ramène-moi à l’hôtel, où je dois prendre Anatole à deux heures… Nous devons faire