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Et du doigt, il indiquait une longue fille merveilleusement jolie, qui dégringolait le raidillon à grands pas souples et harmonieux.

— Cristi !… le fait est… — commença Jean.

Il s’arrêta au milieu de sa phrase, et balbutia, stupéfait :

— Mais c’est Miche, nom d’un chien !…

Et, machinalement, il ouvrit les bras comme autrefois, en disant :

— Miche !…

La jeune fille s’élança et se blottit contre Jean, toute tremblante de bonheur, tandis qu’il l’embrassait affectueusement sur les deux joues.

— Ben, tu ne t’embêtes pas, toi !… — fit Yves de Bray qui écarquillait les yeux, totalement ahuri.

Jean se mit à rire et expliqua :

— C’est Miche !… la petit fille que grand-père a recueillie et qui est devenue muette… tu nous en as entendu parler cent fois !…

— Je vous ai entendu parler de Miche, c’est vrai…

Il se baissa, plaçant sa main à cinquante centimètres au-dessus du sol, et acheva :

— Mais je croyais que c’était une petite fille haute comme ça ?…

— Elle était haute comme ça il y a dix ans…

— Quel âge a-t-elle ?… — demanda Yves à demi-voix et presque à l’oreille de Jean.

— Dix-huit ou dix-neuf ans, je pense ?… mais tu peux parler sans te gêner, va !… elle ne nous entend pas !…

— Elle est sourde aussi !…

— On le croit !… Et, de fait, rien ne peut faire penser qu’elle entende quoi que ce soit !…

— Quel dommage !… — fit Yves, en se penchant pour regarder Miche qui marchait à côté de Jean — elle est admirable, cette fille-là !…

— Oui… elle est vraiment très belle !… je ne la reconnaissais pas au premier moment !… Papa m’avait bien dit qu’elle était extraordinaire, mais je ne croyais pas que ce fût à ce point-là…

— Il y a longtemps que tu ne l’avais vue ?…

— Six ans à peu près !… j’étais venu pour la dernière fois à Saint-Blaise l’année où je suis parti pour le régiment…

— Ça n’est donc pas très chaud avec ton grand-père ?…

— Nous aimons beaucoup grand-père… répondit Jean avec sincérité — mais il ne nous aime plus guère depuis qu’il a chez lui un individu…

— Je sais !… tu m’as parlé de « mossieu Anatole !… »

— Fallait bien… sans ça tu te serais évanoui d’étonnement !… car il paraît qu’il mange à table, maintenant !… Moi, je n’ai pas connu ça !… c’est encore un progrès… Tu ne m’écoutes pas ?… tu regardes Miche ?…

— Ma foi, oui !… je suis émerveillée de cette beauté parfaite !… Vois-tu cette fille-là dans une voiture bien attelée ?… Non !… mais vois-tu cet effet ?… le vois-tu ?…

— Je le vois très bien !… — fit Jean qui regarda Miche.

Elle était devenue rose jusqu’aux petites oreilles qui se détachaient comme deux coquillages sur ses bandeaux, des bandeaux corrects, d’un noir étrange moiré de reflets cuivrés. Son cou, d’un blanc un peu ambré, se teintait aussi de ce rose vermeil et chaud, et Jean murmura :

— Elle n’est pas seulement jolie, Miche !… Elle est bonne, et intelligente, et dévouée… pour moi, surtout, qui ai obtenu que grand-père la prit chez lui, elle avait un vrai dévouement de chien… elle m’adorait…

— Elle t’adore encore !… — affirma Yves.

— A quoi vois-tu ça ?…

— A des tas de choses !… et je pensais que c’est presque un bonheur pour elle… et pour toi… qu’elle soit muette…

— Parce que ?…

— Parce que tu aurais… vous auriez sûrement fait quelque bêtise…

— Non !… — affirma Jean sérieux — je n’aurais fait aucune bêtise !… Tu me connais assez, je pense, pour ne pas me supposer assez mufle pour abuser de l’affection et de la reconnaissance de Miche… Quant à l’épouser, si épatante qu’elle soit, l’idée ne m’en fût pas venue, je t’assure !…

— Est-ce qu’on sait jamais ?…

— Miche est l’enfant d’une fille du pays… merveilleusement belle aussi… qui disparut pendant cinq ou six ans, fut rencontrée à Saint-Lô d’abord, et à Paris ensuite, dans des toilettes qui ne laissaient aucun doute sur le métier qu’elle exerçait, et revint un beau jour à Saint-Blaise avec un enfant de quelques mois… qui est Miche…

— Je ne te dis pas que ce soit une origine très relevée… mais…

— Et s’il n’y avait que la mère encore !.. C’était, métier à part, une brave fille, dit-on !… mais le père ?… Qui est le père de Miche ?… Sans être comme grand-père, j’ai tout de même un peu le préjugé de la race… et surtout de l’hérédité… C’est pour ça que, même avec un énorme sac, je n’épouserai jamais une femme d’espèce différente de la mienne… les caractères ne se mêlent jamais… ça fait des ménages abominables… et le sang qui est mêlé de force, se venge en donnant des résultats qui me font horreur !…

— Alors, tu n’épouseras pas une fortune ?…