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de rechute qui retardait sa guérison, Mme Devilliers tombait malade à son tour.

La pauvre femme avait appris par les domestiques, à son retour à Auteuil, que le marquis avait hurlé devant eux les choses qu’il lui avait écrites à elle-même.

Elle sentait que ceux à qui elle devait commander doutaient à présent de son honorabilité et ne la respectaient plus autant.

Elle voulut partir. Le comte la supplia si fort, qu’elle consentit à rester. Mais sa santé se détraquait. Elle se fatiguait, ne pouvait plus promener Simone, était inquiète et énervée. Enfin, un beau jour, à propos de rien, elle déclara qu’elle était absolument obligée de se reposer et s’en alla.

Les Erdéval la regrettèrent plus encore qu’ils ne se le figuraient. Mme Devilliers était la seule personne qui pouvait faire quelque chose de bon de Simone.

Aussitôt après son départ, la petite changea d’allures. Elle renoua, grâce à la complicité de la miss imbécile qui l’accompagnait, des relations avec des amies rencontrées à des cours, relations que Mme Devilliers avait écartées ou espacées jusque-là. Elle prit des airs incompris. Enfin, elle se transforma totalement à son désavantage.

Le jour où M. d’Erdéval aperçut ce changement, il en voulut d’abord terriblement à son père. Puis il se dit que le vieillard était maintenant une pauvre loque aux mains d’un mauvais drôle qui le chiffonnait à son gré.

La prétendue enquête sur Mme Devilliers, avait été menée, au début, par un soi-disant cousin d’Anatole qui habitait les environs de Périgueux. On était arrivé à apprendre ce détail. Ensuite, un des médecins qui soignait M. d’Erdéval et qui était de Périgueux, avait été mis à contribution pour continuer cette jolie besogne, et s’était inconsciemment prêté à une malpropreté dont il ignorait le but. Parti avec de faux premiers renseignements, il en avait obtenu d’autres faux encore. Vagues racontars de province, potins et haines de clocher, avaient apporté leur tribut, méprisable et empressé, à l’œuvre de haine du marquis.

Mais le vrai metteur en scène, celui qui avait tenu les fils du pauvre pantin agissant, c’était le palefrenier.

Et tout ce qui s’était, au premier moment amassé de rancune contre le marquis dans le cœur de son fils, se reporta sur son homme de confiance.

Un détail ignoble acheva d’exaspérer M. d’Erdéval.

L’année suivante, son père passa chez lui une semaine seulement. Le palefrenier était à Paris. Chaque matin, il vint à Auteuil, mais aucun des Erdéval ne le rencontra.

La veille du départ de son père, M. d’Erdéval lui offrit de le conduire à la gare, mais il refusa :

— Je te remercie… Anatole viendra demain matin me chercher..

En effet, l’homme arriva avec un fiacre, se disputant avec le cocher. Le marquis et son palefrenier étaient connus des cochers d’Auteuil, qui ne marchaient plus pour eux.

Pendant qu’on chargeait les bagages, le vieux marquis dit adieu à sa belle-fille et à ses petits-enfants dans son appartement. Mais son fils, qui resta avec lui jusqu’au moment du départ, dut subir la vue d’Anatole et sa poignée de main.

M. d’Erdéval accompagna le marquis jusqu’à la porte de la rue, que le domestique tenait ouverte, l’embrassa encore, et resta sur le seuil pour le voir partir. Alors le palefrenier, poussant son maître un peu lent à monter dans le fiacre, lui dit à demi-voix, sachant parfaitement qu’on l’entendait :

— Allons, monte !…

Et le vieux marquis monta sans protester, tandis que le domestique effaré ouvrait de grands yeux, et que M. d’Erdéval sentait une vague démangeaison de courir après le fiacre, et d’étrangler « môssieu Anatole » qui ricanait.

XIV


Deux ans plus tard, Jean, qui faisait ses vingt-huit jours à Saint-Lô, ne voulut pas demeurer aussi près de son grand-père sans le voir. Il obtint une permission pour aller à Saint-Blaise, et demanda à M. d’Erdéval la permission d’amener avec lui un de ses camarades, Yves de Bray.

Le marquis lui répondit avec sa bonne grâce habituelle et, par un admirable matin de septembre, les deux petits soldats débarquèrent à Pont-Bellangé.

Yves de Bray fut émerveillé de cette campagne verte et fleurie comme au printemps.

— Demain… — dit Jean — je te ferai voir un coin beaucoup plus joli encore que celui-ci… nous irons aux ruines du Château du-Fou… Tu verras si c’est épatant !… Ils s’en venaient à pied, parce qu’ils n’avaient pas su exactement à quelle heure ils pourraient partir.

— Quel pays !… — répétait Yves en grimpant la colline au haut de laquelle était planté Saint-Blaise — à Coutances nous ne soupçonnons pas cette Normandie-là…

Il s’arrêta tout à coup, poussa une sorte de grognement surpris, et acheva

— Ni ces femmes-là !…