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pourboire, la pauvre Bretonne qui l’avait servi avec propreté et soin pendant ces deux jours. Mais aucune sonnette ne marchait, et il eut beau appeler, la femme ne vint pas. Alors, il posa sur la cheminée une pièce de cinq francs et descendit.

Le coupé attendait devant le perron. Dans le vestibule M. Anatole — qui allait conduire la voiture à la gare — allait et venait, donnant des ordres, affairé et important.

— Je n’ai pas trouvé la Bretonne… — expliqua M. d’Erdéval à son père qui avait tenu à descendre pour le voir partir — et j’ai posé cinq francs pour elle sur la cheminée… Voudras-tu le lui dire ?…

Tandis qu’il parlait, le palefrenier se lança dans l’escalier et le monta en courant.

— Anatole !. — cria le marquis étonné — Anatole !… où donc allez-vous !… il faut partir !… M. le comte est déjà en retard !…

L’homme qui avait disparu un instant revenait. Il dit avec un mauvais sourire niais, qui tiraillait ce que M. d’Erdéval appelait volontiers sa « figure de bagne » :

— J’étais monté chercher le rouleau de couvertures… je n’avais pas vu qu’il était là !…

M. d’Erdéval disait adieu au marquis. En entendant l’explication du palefrenier, il pensa :

— Il est allé prendre la pièce de cinq francs pour faire croire que la Bretonne est une voleuse !… Le voilà, le sérieux sujet de mécontentement… il est trouvé !…

Puis il embrassa Miche, qui lui ouvrait la portière, et lui dit, devinant ce qu’elle souhaitait sans pouvoir l’exprimer :

— Je dirai bien des choses de ta part à Jean, Miche !…

XIII


Le surlendemain de son départ, M. d’Erdéval reçut de son père une lettre qui finissait ainsi :

« Quant à la Bretonne qui te plaisait, et que je prenais pour une brave femme, c’est tout bonnement une voleuse ! Anatole avait comme toujours du nez, et j’avais eu le tort de ne pas écouter ses avertissements. C’est ta visite qui nous a fait découvrir le pot aux roses.

Tu sais que tu m’avais averti que tu déposais sur ta cheminée une pièce de cinq francs pour cette fille, qui t’avait servi, Dieu sait comment !…

Quand, après ton départ, je suis monté ta chambre, la pièce n’y était plus ! Cette fille seule avait pu la prendre. Nous l’avons interrogée et, bien entendu, elle a nié. Or, Miche n’était pas entrée dans le château, ni Théophile non. plus, et il n’y avait qu’elle qui fût allée dans ta chambre, etc…, etc.

Les « nous », dont l’intimité choquait M. d’Erdéval et qui émaillaient la lettre, l’horripilèrent beaucoup plus que le récit prévu du prétendu vol. Il répondit à son père qu’il ne voyait pas pourquoi la Bretonne aurait chipé une pièce qui lui était évidemment destinée. Si elle eût pris cet argent, elle eût avoué certainement l’avoir pris parce qu’elle le croyait pour elle. Et le comte terminait en disant qu’il savait très bien que la pièce de cinq francs avait été volée, mais qu’il savait aussi que ça n’était pas par la personne qu’on accusait.

A cette réponse, son père ne répliqua pas un mot, alors que, d’habitude, il défendait ses idées en de longues pages d’une admirable écriture et d’une extrême clarté.


Au printemps suivant, le vieux marquis annonça aux Erdéval sa venue. Il avait différentes affaires qui nécessitaient un séjour à Paris. Et il ajoutait :

« A présent que j’ai mon pauvre Anatole qui fait tout, je peux quitter facilement Saint-Blaise. »

M. d’Erdéval ne put, cette fois, s’empêcher de demander quel était le « tout » que faisait le palefrenier, car il avait eu l’occasion de remarquer à plusieurs reprises qu’au contraire il ne faisait rien, rien de visible à l’œil nu, du moins.

Au bout de deux jours, le marquis répondit :

« Depuis l’horrible accident dont mon pauvre Anatole a été victime il y a trois ans, il ne peut plus, effectivement, faire un service régulier et actif. Il a reçu, en voulant sauver la vie à un des imbéciles que nous avions à ce moment-là au château, une barrique de cidre de deux cent cinquante litres sur les reins. Depuis, il est resté estropié. Il souffre le martyre quelquefois et, pendant ses crises, il ne peut bouger ni pieds ni pattes. Je ne le paie plus. Il ne l’a plus accepté. Il m’a dit : « Du moment que je ne peux plus faire mon service, je ne veux plus que M. le marquis me paie. J’aimerais mieux m’en aller. »

Alors je le nourris et je l’habille, et ce n’est guère pour les immenses services qu’il me rend malgré son infirmité. Etc…, etc… »

Les Erdéval se regardèrent surpris. Comment Anatole avait-il eu cet accident sans que le marquis — qui ne parlait absolument