Page:Gyp - Miche.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quable… et votre père ferait sagement d’ouvrir l’œil…

— Il l’ouvre, docteur, il l’ouvre !… Mais qu’est-ce qu’il peut faire ?… rien du tout !… Grand-père est maître de disposer… dans une certaine mesure… de ce qui lui appartient… je ne pense pas, d’ailleurs, qu’Anatole procède de la sorte… il redouterait les cris de putois que nous pousserions certainement… Non !… je suppose qu’il se fait donner des choses par grand-père dès maintenant… ça ne se retrouvera pas dans la succession… un point, c’est tout !…

— C’est bien embêtant, mon petit !…

— C’est très embêtant, docteur !… La comtesse attendat dans le parc le retour de ses enfants. Elle aperçut la voiture qui s’arrêtait près de la barrière et marcha vers les arrivants.

— Eh bien ?… — questionna le docteur Bouvier — rien de nouveau ?…

— Rien !… Miche ne dit pas un mot, mais elle est gaie comme un pinson !… C’est inimaginable !…


XI


À la fin de l’été, Olivier eut avec M. Anatole une violente altercation.

Un des chiens de Saint-Blaise qui se promenait avec le jeune homme, étrangla une poule appartenant à un paysan. Olivier paya cette poule, ce qui exaspéra le palefrenier. Jamais il ne fallait rien payer ! C’était une industrie du pays ! Les gens de Saint-Blaise feraient dorénavant étrangler toutes leurs poules, etc…, etc…

Et comme le petit d’Erdéval protestait, le marquis survint pour donner raison à son régisseur et renchérir encore sur lui.

— Une poule… — affirmait-il en colère — est un véritable fléau !… en trois ans une poule détruit à elle seule un champ !… On est donc dans son droit quand on la tue !…

Enervé, le petit répondit malhonnêtement à son grand-père, et M. d’Erdéval jugea prudent d’écourter le séjour à Saint-Blaise.

Miche — à qui le palefrenier ne prenait plus garde depuis qu’elle était infirme — osa quitter la bibliothèque où elle continuait à classer les livres, et vint se poster au pied du perron à l’heure du départ.

— Au revoir, ma petite Miche !… — dit la comtesse. Et regardant affectueusement l’enfant dont le front arrivait à présent au de ses lèvres, elle ajouta :

— Tu as l’air d’une jeune fille à présent… vas enfin faire ta première communion cette année… je t’enverrai ta robe, ton livre tout ce qu’il faut… tu diras à la mère Orson que je m’occupe de tout…

Les yeux profonds de l’enfant se posèrent sur Mme d’Erdéval, mais elle ne fit aucun mouvement.

Toujours le curé avait retardé la première communion de Miche qui ne paraissait pas savoir un mot de catéchisme. À présent qu’elle ne parlait plus, il fallait bien passer par-dessus son ignorance. Cette année déjà elle serait ridicule. Elle aurait l’air d’une mariée.

Comme la petite ne bougeait toujours pas, Jean demanda :

— Tu as entendu ce qu’a dit maman, Miche ?…

— Anatole est convaincu qu’elle n’entend plus rien !… — expliquait le marquis.

Miche regardait attentivement le sable de l’allée. Elle ne broncha pas.

— Vous voyez, Marguerite !… — reprit le vieillard — il est évident qu’elle ne nous entend pas…

— Adieu, mon petit Miche !… dit Jean qui embrassa l’enfant — moi, je ne te verrai probablement pas l’année prochaine… je vais faire mon service militaire… Sois bien sage, tu me feras plaisir… et fais bien tout ce que te dira le docteur Bouvier ?… Tu m’entends, dis, Miche ?…

Une solide pression de la petite main répondit. Alors, Jean affirma :

— Elle entend !… je suis sûr qu’elle entend !… pas, tu entends, Miche ?…

Il éloignait de lui la petite et la regardait de tous ses yeux. Rien ne bougeait dans le joli visage soudain pâli. Évidemment Miche était émue de voir partir son grand ami, mais elle ne paraissait pas comprendre un mot de ce qui se disait autour d’elle.

— Miche !… — ordonna le marquis dès que la voiture qui emmenait ses enfants eu disparu — va chercher M. Anatole !…

Il lui tardait de revoir son favori qui avait affecté de ne pas assister au départ. Cette demi-heure passée loin de lui semblait intolérable au vieillard. Hypnotisé par cet être, qui lui était inférieur en tout, et dont il avait peur et besoin à la fois, il ne vivait qu’en sa présence.

Miche n’avait pas fait un mouvement. Elle regardait d’un air désolé l’avenue par où s’enfuyait tout ce qu’elle aimait au monde.

Le marquis allait de nouveau lui donner l’ordre d’envoyer le palefrenier, mais il s’arrêta :

— C’est absurde !… je ne me souviens jamais qu’elle n’entend pas !…

Puis, il s’en fut retrouver son ami, pressé de se replacer sous sa férule, craintif un peu