Page:Gyp - Miche.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.

heurta à un refus formel. On ne donnerait pas la voiture pour aller au château de Saint-Blaise. On savait trop qu’on n’aurait que du désagrément. Il y avait là un sale individu qui menaçait les gens de les faire arrêter par la gendarmerie, ou même de leur tirer dessus quand il était « soûl de travers ».

Mais à la Reine Blanche — qui avait changé de propriétaire — on promit à Olivier que le break de l’hôtel serait à la gare dans un quart d’heure. Le patron ajouta cependant :

— À la condition expresse que nous n’aurons affaire qu’à vous, monsieur, parce que nous ne voulons pas avoir maille à partir avec l’homme qui est chez M. d’Erdéval…

— Grand-père doit avoir des facilités d’existence !… pensait Olivier tandis qu’on appelait l’homme d’écurie qui allait le conduire — ça doit être exquis d’habiter un pays dans ces conditions-là !…

Quand le petit palefrenier arriva courant, les pieds nus dans ses sabots, il cria joyeusement :

— Ah !… m’sieu Olivier !… ça va bien m’sieu Olivier !…

— Tiens !… Charles !… — fit Olivier — qui reconnut un gamin entrevu au cours d’un séjour à Saint-Blaise.

Mais la figure du petit bonhomme s’assombrissait subitement, et il déclarait au maître de l’hôtel :

— J’regrette, patron, mais j’peux point conduire m’sieu Olivier à Saint-Blaise… vu que m’sieu l’marquis m’a menacé d’envoyer chercher la gendarmerie si j’approchais du château… et qu’Anatole m’a dit qu’y m’casserait les reins si jamais y m’rencontrait !… J’serais d’ailleurs curieux d’vouer ça !… mais j’veux point avouer d’histouères avec ces gens-là !…

— Ces gens-là !… Olivier était désolé de voir assimiler son grand-père à ce sale individu. Et avec tout ça, il était sans voiture pour ramener Chanillac et le docteur.

Il demanda gentiment :

— Je vous en prie, Charles, conduisez-nous ?… je vous promets qu’il ne vous arrivera rien de fâcheux…

— Il arrive toujours qué’que chose d’fâ cheux à Saint-Blaise !… j’regrette de r’fuser à m’sieu Olivier… y n’est rien qu’je n’ferais pour lui et pour m’sieu Jean… et surtout pour Mme la comtesse !…

— Eh bien, pour maman ?… faites ça pour maman ?… — dit Olivier qui se souvint que sa mère avait demandé grâce au marquis pour le petit domestique — je vous en prie ?… vous nous rendrez grand service… vous n’approcherez pas du château… nous descendrons à la petite barrière… et vous attendrez là le docteur Bouvier que vous ramènerez à Pont-Bellangé…

— Comme ça… j’veux bien !… — fit Charles

Mais il ajouta, prudent :

— Et vous n’direz point à m’sieu l’marquis qu’j’attends à la barrière… et non pus à Anatole ?… C’est point qu’j’aie peur d’euss… mais c’est embêtant d’avoir des affères avec pus haut qu’soi qu’a tout l’temps à la bouche les gendarmes et l’Président d’la République.

— Le procureur de la République… rectifia Olivier en riant.

— Mais non !… l’Président !… l’Président qu’est à l’Elysée !… Quand j’étais au château, Anatole en m’naçait tout l’monde tout l’temps !…

— Dépêchons-nous !… — fit Olivier — Venez vite me retrouver à la gare, voilà le train !…

Il traversa d’un bond la route et arriva juste à temps pour recevoir Chanillac, qui arrivait une valise à la main.

Jean accourait essoufflé. Et les deux enfants racontèrent les difficultés qu’ils avaient eues et le malheur qui était arrivé.

— Pauvre Miche !… — dit Chanillac — je me réjouissais de la voir !… vous m’en aviez tant parlé… Jean surtout !…

— Oui… elle adore Jean !… elle le suit partout comme un petit chien…

Chanillac regardait autour de lui, cherchant une voiture ou un domestique quelconque et ne voulant absolument pas lâcher sa valise aux petits d’Erdéval. Olivier expliqua :

— Si… donnez-la !… il n’y a personne pour la prendre… et nous serons encore bien plus embêtés de vous la voir porter…

Il acceptait gaiement les petites humiliations de ce genre. Mais Jean, un peu vaniteux, s’énervait de ces ridicules détails.

Enfin le domestique de l’hôtel arriva, conduisant un break suranné mais très propre.

Le petit bonhomme n’était qu’à moitié rassuré et quand, après avoir été chercher le docteur, on commença de grimper la côte éternelle qui menait à Saint-Blaise, il se retourna sur le siège et dit :

— M’sieu Olivier m’a bié promis de n’pas dire au château qu’j’attends m’sieu l’docteur à la barrière, toujours !… M’sieu Olivier n’oubliera point !…

— Non !… — répondit Olivier en riant soyez tranquille !…

Le docteur Bouvier demanda :

— Pourquoi donc ne faut-il pas dire qu’on m’attend à la barrière ?…

— Parce que Charles… qui est aujourd’hui à « La Reine-Blanche »… a été renvoyé de Saint-Blaise plutôt violemment, à ce qu’il paraît…