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— Tiens !… Miche !… — s’écria Jean tout à coup. — Arrive ici, Miche !…

La petite, qui venait de l’étable et se glissait vers la tourelle, s’approcha à regret en louchant craintivement vers le château. Elle craignait d’être surprise par le palefrenier faisant cette chose si défendue de causer avec les enfants ou M. et Mme d’Erdéval.

— L’orage… — dit M. Guillemet — va être d’une violence extraordinaire…

En effet le tonnerre roulait, rapprochant ses coups. Le vent s’élevait, l’air devenait irrespirable.

— Rentre, Simone… — cria par la fenêtre le vieux marquis — et dis que l’on rentre Joséphine !…

Simone, depuis qu’elle était sortie de table, s’amusait, grimpée sur la bourrique, à faire le tour d’une pelouse qui s’étendait devant le château…

M. Anatole venait d’apparaître sur le perron.

— Anatole !… — cria le marquis… — il faudrait rentrer Joséphine…

Le régisseur indiqua d’un geste majestueux qu’on n’avait pas besoin de lui dire ces choses, et se dirigea vers la bourrique qui s’avançait paisible, sentant venir l’orage avec indifférence, tandis que la petite fille ne l’apercevait même pas.

Mais en voyant arriver sur elle l’homme qui, lorsqu’il la montait, lui déchirait les flancs et le ventre à coups d’éperons et la rouait de coups de bâton lorsqu’il l’attelait à la carriole des provisions, Joséphine s’arrêta court, baissa la tête et, tournant brusquement sur elle-même, partit au galop dans une avenue, alors que Simone, surprise de la brutalité du mouvement, roulait dans l’herbe et, se ramassant, demandait étonnée.

— Qu’est-ce qu’elle a donc eu, Joséphine ?…

— T’es-tu fait mal ?… — questionna M. d’Erdéval inquiet — c’est toujours quinteux, les ânes !… ça n’est jamais sûr !…

— Mais, papa !… — affirmait Simone qui ne voulait pas que l’on soupçonnât sa chère bourrique — jamais elle n’a fait ça !… jamais !… elle aura eu peur de quelque chose que nous n’avons pas vu…

M. Anatole était rentré dans le vestibule. Il en ressortit tenant d’une main un bâton et de l’autre un collier de chien. Ce collier appartenait à Casimir, un grand chien noir qui avait pris en affection Mme d’Erdéval et, de puis son arrivée à Saint-Blaise, était toujours avec elle.

La veille, elle lui avait acheté un collier qui était trop large, et le marquis l’avait donné à son régisseur pour qu’il y perçât des trous.

M. Anatole s’approcha du chien — en ce moment couché sur un coin de la robe de la comtesse — et allongea la main. Mais Casimir se dressa d’un bond et se lança comme une flèche, les oreilles serrées et la queue entre les jambes, dans le parc où il disparut.

— Tiens !… — dit Mme d’Erdéval très surprise — qu’est-ce qu’il a ?…

— Il a… la même chose que Joséphine !. dit Jean qui commençait à comprendre d’où venait l’affolement des animaux.

Tandis que Casimir s’enfuyait éperdument Joséphine s’en revenait tout doucettement vers son pré, s’arrêtant pour brouter les petites touffes d’herbe qui poussaient au bord de l’allée.

Miche marcha vers la bourrique plantée à cinquante mètres de la terrasse, ramassa la bride qui traînait et se disposait à emmener la bête lorsque le palefrenier hurla :

— Veux-tu lâcher ça !… je t’ordonne de lâcher ça !…

La petite fille hésita un instant, jetant sur l’ânesse un regard affectueux et compatissant, puis se décida à obéir, car M. Anatole accourait.

Il ramassa les rênes que Miche venait de lâcher, puis leva son gros bâton sur Joséphine qui tirait au renard tant qu’elle pouvait. En voyant menacer la bourrique qu’elle aimait, la petite fille se jeta au-devant du palefrenier en suppliant :

— Tapez pas, monsieur Anatole !… Tapez pas !… faites-lui grâce !…

Elle se cramponnait au bras de l’homme qui la secouait, ne pouvant se débarrasser d’elle. Alors, sur la tête de Miche il leva son bâton, tandis que la comtesse, indignée, poussait un cri de menace et de peur.

Ce cri se perdit dans un effroyable coup de tonnerre. Et les Erdéval cessèrent, durant une seconde, d’entrevoir M. Anatole et Miche.

Puis, ils les aperçurent à demi cachés par un arbre que la foudre venait d’abattre en travers de l’allée. L’homme et la petite fille étaient en train de se relever. Jean, qui était rentré un moment avant le coup de tonnerre, accourait effaré.

Ce fut Olivier qui arriva le premier auprès de Miche.

Le palefrenier, livide, claquant des dents, expliquait, hoquetant :

— C’est… c’est la fou… la fou… la foudre…

Miche se frottait silencieusement les yeux.

— Tu n’as pas de mal, mon pauvre petit !… — demanda Olivier — dis ?…

— Dis ?… — répéta Jean inquiet — mais réponds donc, Miche ?…

La petite fit non de la tête, sans parler.

Miche !… — cria Jean qui se souvint tout à coup des appréhensions du docteur