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jamais au château à présent… j’entends ailleurs qu’à la bibliothèque…

— Si, m’sieu Jean !… j’y suis core quand vous êtes pas là !… c’est seulement quand vous arrivez qu’on m’défend d’passer par l’château… pac’que j’suis pas une société pour mad’moiselle Simone… ni pour vous et vos frères, que dit m’sieu l’marquis…

— Je comprends que grand-père soit sévère sur le choix des sociétés !… — fit Jean en riant.

Miche comprit.

— C’est cause de m’sieu Anatole qu’vous dites ça ?… pac’que l’était valet d’écurie, pas ?… mais paraît qu’c’est tout d’même un noble…

— Ah ! bah !..

— Oui… m’sieu l’marquis l’a dit…

— Pauv’grand-père !… — pensa Jean, attristé — il a été raconter dans le pays l’histoire de la grand’mère qui est une La Faraudière de Montamort !… Ce qu’on doit se ficher de lui, mon Dieu !…

Mais Miche, qui suivait toujours son idée, reprit :

— Vous n’pensez pas, dites, m’sieu Jean, qu’c’est que j’pourrais vous avertir si des fois l’arrivait qué’qu’chose ?…

— Comment ça, mon pauv’petit ?… tu ne sais pas écrire…

La petite fit un mouvement, puis affirma :

— J’trouverais ben moyen…

— D’écrire ?… on n’écrit pas comme ça sans avoir appris !…


— Non !… pas d’écrire !… mais d’vous avertir…

— Et puis, d’ailleurs, tu ne saurais rien… on se gênerait devant toi !.. Anatole est plutôt méfiant… grand-père aussi… Si grand père fait un testament pour donner à Anatole la portion de sa fortune dont il a le droit de disposer, on n’ira pas te le montrer, tu penses… bien que ça soit sans inconvénient, puisque tu ne sais pas lire non plus !…

— Pourtant, m’sieu Jean, j’voudrais bien faire qué’que chose pour vous… j’donnerais tout d’suite ma peau pour ça d’bon cœur… C’est à vous que j’dois d’pas êtr’morte d’faim, ou mise aux enfants trouvés… aussi, j’vous aime, allez !… et j’aime aussi m’sieu l’marquis qu’a ben voulu m’prendre…

— Tu es une bonne petite fille, Miche… moi aussi, je t’aime bien…

Il allait se pencher et embrasser la petite comme il faisait souvent, mais il s’arrêta gêné par sa beauté, par son aspect de jeune fille.

— Quel âge as-tu, Miche ?… — demanda-t-il en passant sa main sur les beaux cheveux qui se moiraient au soleil.

— Treize ans, m’sieu Jean !… v’là cinq ans que j’suls chez vous… j’travaille à présent pour l’prix que j’coûte… à quinze ans j’ferai l’ouvrage d’une femme à trente sous… alors, petit à petit, j’rembourserai m’sieu l’marquis… y aura plus rien à m’reprocher !…

— Ne t’inquiète pas de ça !… Grand-père ne te reproche pas ce que tu lui coûtes !…

— Pas lui !… mais c’est m’sieu Anatole !… y m’a déjà appelée propre à rien !… pauvresse ! vermine !… tout l’temps y m’dit des noms…

— Il ne faut pas t’occuper de ce que dit Anatole.

— Si… pac’que c’qu’y dit, y finit toujours par le faire penser à m’sieu l’marquis. m’sieu l’marquis n’voit plus qu’au travers de lui !…

Jean et la petite fille avaient grimpé le raidillon qui conduit de la rivière au parc de Saint-Blaise.

En apercevant les tourelles, Miche s’arrêta :

— Adieu, m’sieu Jean !… j’me sauve pour qu’on m’voie point avec vous… m’sieu Anatole a d’jà fait des ragots, pour sûr !…

Elle glissa au milieu des arbres et disparut.

Jean traversa l’herbage et rentra. Sur la table du vestibule étaient posées les lettres que le facteur venait d’apporter. Il en prit une, l’ouvrit, puis s’élançant dans le salon où tout le monde était réuni en attendant le déjeuner qui allait sonner :

— Grand-père !… j’ai une lettre de Chanillac !… il arrive à six heures à Pont-Bellangé.

Le visage du vieux marquis exprima la contrariété et, sans rien dire, il sortit.

— Qu’est-ce qu’il y a ?… — fit Jean inquiet. — Grand-père n’a pas l’air content !… il avait pourtant permis d’inviter Chanillac, n’est-ce pas ?…

— Mais oui… — dit Mme d’Erdéval — c’est moi-même qui lui ai écrit pour l’inviter de la part de papa…

Claude de Chanillac était un ami des Erdéval et de leurs enfants. Il demeurait à trente huit ans aussi gai, aussi jeune de caractère que Jean et Olivier. Appelé à faire ses treize jours dans le régiment d’infanterie en garnison à Cherbourg, il devait, avant de rentrer à Paris, passer deux jours à Saint-Blaise.

Les enfants avaient dit à leur grand-père qui ne connaissait pas Chanillac — qu’ils auraient grand plaisir à l’avoir, et le marquis, hospitalier autant qu’on peut l’être et aimable comme on ne l’est plus, s’était hâté de l’inviter.

Tandis que Jean se demandait, perplexe, ce qui avait bien pu arriver, le second coup du déjeuner sonna.

Les Erdéval, en entrant dans la salle à manger, aperçurent le marquis qui sortait