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vosité rendait pénible, mais, néanmoins, quelque fait anormal avait dû se produire que l’on ignorait et qu’on ignorerait toujours.


« J’ai remarqué, — écrivait le docteur — que durant les quelques jours où Miche a gardé le lit, elle éprouvait, rien qu’en entendant le pas de cet homme, une augmentation de température presque immédiate. J’ai essayé de l’interroger, mais il m’a été impossible de tirer d’elle aucune indication précise. Elle m’a avoué, sans difficulté, qu’elle exécrait « monsieur Anatole », mais c’est tout ce que j’ai pu savoir. Jean avait raison le jour où il me disait que Miche a une puissance de volonté et une maîtrise extraordinaire d’elle-même. Je voudrais savoir, mais je ne saurai rien ni à présent, ni jamais. Elle va continuer à vivre, selon son désir qu’elle m’a confié, dans cette bibliothèque qu’elle adore et qu’elle arrange — soi-disant — et où elle est presque comme en plein vent. J’ai parlé dans ce sens à votre père qui suivra, je crois, mes prescriptions autant qu’il sera maître de le faire, le pauvre !…

C’est égal !… C’est vraiment désolant de voir un beau bonhomme comme ça démoli moralement — et un peu physiquement aussi — en quelques mois, parce qu’une canaille a posé dessus ses sales pattes. Moi, voyez-vous, ça me tape, des profanations comme celle-là.

Mais si la profanation de la vieillesse est infiniment triste, la profanation de l’enfance est une atrocité pure. Donc, comprenez moi, mon cher ami, et quand, cet automne, vous quitterez Saint-Blaise, tâchez d’emmener Miche en Lorraine et à Paris. Elle sera pour votre femme ou pour Simone une gentille petite femme de chambre, et l’air d’ici ne lui vaut vraiment rien.

Notez qu’elle ne court — à mon sens — aucun danger physique. Elle est brave et déjà avertie comme toutes les petites filles des champs. Avec ça, pure comme une étoile. Mais un effroi moral suffirait à l’abîmer pour toujours.

J’ai noté, dernièrement encore, cet embarras de la parole dont j’avais parlé à Jean. Il y a, de ce côté, des symptômes inquiétants. Jusqu’à présent, la volonté de Miche domine ses nerfs, mais il peut n’en pas être toujours de même.

Dans tous les cas, ne manquez pas de venir voir votre père. Il a besoin de votre présence chez lui. L’Anatole vous a très fort en horreur. J’en conclus qu’il n’est pas encore parvenu à détruire complètement l’affection que votre père a pour vous, et l’influence que vous pouvez avoir sur lui. J’ai cru comprendre aux vacances dernières, d’après certains mots dits par vous, et surtout par les enfants, que peut-être vous abandonneriez Saint-Blaise. Ne faites pas ça, c’est votre vieux bourru d’ami qui vous en prie, en vous envoyant, à vous et à tous, ses plus affectueux et dévoués souvenirs.

BOUVIER. »

— Il n’y a pas à hésiter… — dit M. d’Erdéval — je vais écrire à papa que nous arriverons le 1er août…

Comme l’avait annoncé Olivier, Mme Devilliers demanda à ne pas aller à Saint-Blaise.

— Simone est assez grande à présent pour se passer de moi… — dit la pauvre femme qui craignait que l’on insistât pour la faire partir — et moi, j’avoue que j’ai affreusement peur de cet homme-là… Depuis un an il me menace dans des lettres anonymes. Comme, l’année dernière, on n’allait pas à Saint-Blaise, je n’ai pas cru utile de parler de ces lettres… mais ça a continué…

— Il ne vous mangerait pas quand nous serions là !… affirma Jean — alors qu’est-ce que ça vous fait de venir ?…

— Non… j’ai su par un valet de chambre qui est venu voir les domestiques à l’instant où on venait de le chasser de Saint-Blaise, que quand Anatole veut se débarrasser d’un serviteur qui lui déplaît, il l’accuse d’avoir volé…

— Volé quoi ?…

— De l’argent… ou des objets… ou des provisions…

— Des provisions !… — dit Olivier qui se roulait — maman ! faut prendre celui qui a trouvé des provisions à voler chez grand père !… il fera sortir, en l’appelant, ce qui est dans les coffres de la Banque de France !… car ils sont sûrement moins défendus que les armoires aux provisions de Saint-Blaise….

— Vous riez, Olivier… — dit Mme Devilliers qui avait les larmes aux yeux — mais me voyez-vous, si cet homme cachait de l’argenterie dans ma malle… et puis la faisait fouiller par les gendarmes… Oui… c’est comme ça que ça se passe, paraît-il… et M. le marquis d’Erdéval, qui était si bon avant ça, croit tout ce qu’Anatole lui dit sur les uns et les autres… Il n’y a plus aucun des anciens domestiques au château…

— Je sais… — dit le comte — et ça me tracasse de sentir papa entouré uniquement d’individus fournis par les bureaux de placement…

Jean conclut :

— Et surtout entouré d’Anatole…

Le surlendemain du jour où il avait annoncé sa visite à son père, M. d’Erdéval