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pas été à Saint-Blaise l’an passé… j’y veux aller absolument cette fois !… D’ailleurs, il serait absurde de ne pas chercher à nous rendre compte de ce qui se passe…

— Je le sais de reste !… — fit M. d’Erdéval très désolé — on m’a écrit de Coutances que les domestiques changent maintenant tous les huit jours… qu’il n’y a plus d’ouvriers qui veuillent travailler au château… que papa et Anatole n’osent guère sortir de Saint-Blaise, tant ils sont exécrés… et que, dans tous les cas, Anatole n’ose plus sortir du tout sans papa… On lui a flanqué des pierres à Pont Bellangé, un jour qu’il s’en revenait dans la petite voiture…

— Ce qu’il a dû avoir peur !… — dit Olivier radieux.

M. Guillemet raconta :

— Déjà l’automne dernier, j’avais vu à quel point M. le marquis d’Erdéval et son domestique étaient haïs… Quelquefois, des gens avaient causé avec moi qui ignoraient que j’étais à Saint-Blaise, et qui étaient francs… ou presque… Ce qui les exaspère le plus, plus que les insultes, que les mauvais traitements, que tout… c’est que cet homme, qui est un propre à rien, qui ne sait vraiment aucun métier, veuille leur apprendre leurs métiers, à eux qui les savent… et puis, il ne menace et ne maltraite, que les vieux… ou les animaux… ou la petite Miche…

— Miche !… — s’écria Jean — on vous a dit qu’il a maltraité Miche ?…

— Oh ! oui… plusieurs fois !… mais il paraît qu’un jour M. le marquis d’Erdéval l’a vu et s’est mis dans une terrible colère… et il lui a dit — paraît-il — devant Théodule et le jardinier, que si jamais il touchait, soit à Miche, soit à la vieille jument alezane…

— Caroline !… — dit M. d’Erdéval — elle est de l’âge de Jean !…

— Eh bien, monsieur votre père a formellement et durement défendu à Anatole de la frapper… Il paraît que ce jour-là il s’est retrouvé tel que les gens de Saint-Blaise se souvenaient de l’avoir vu autrefois… très violent, mais très juste et très bon…

— Pauv’papa !… — dit tristement M. d’Erdéval.

Et Jean — qui n’était pas pour les demi-mesures — demanda à son père :

— Pourquoi ne pars-tu pas pour Saint-Blaise illico, et ne flanques-tu pas Anatole dehors ?…

— Par la porte ou par la fenêtre, n’est-ce pas ?…

— Mais oui !… veux-tu que j’aille faire ça, moi ?…

— Tu voudras bien te tenir tranquille… ainsi que je me tiendrai moi-même… Nous ne sommes pas chez nous à Saint-Blaise, mon petit !… Ton grand-père a sa tête aussi bien que toi et moi, donc, nous n’avons pas intervenir dans ses affaires…

— Ah ! par exemple !…

— C’est comme je te le dis !… et j’entends que ni toi, ni Olivier, n’entriez en lutte avec cette canaille…

— Mais il est chez lui plus que nous chez grand-père !…

— C’est parfaitement vrai !… mais nous n’y pouvons rien !… J’ai cru remarquer en automne des amorces, sinon de lutte, au moins de conflit… je ne veux pas que ça se renouvelle… Ou vous resterez en Lorraine… ce à quoi je ne m’oppose pas, si la situation vous semble impossible à accepter… ou, si vous allez chez votre grand-père, vous serez convenables et même polis… comme je le suis moi-même… pour l’homme auquel il a donné dans sa maison une place…

— Que nous devrions avoir !…

— Que nous devrions avoir, c’est juste !… mais que nous n’avons pas, puisqu’il ne nous la donne plus… Je lis, moi… chaque fois que votre grand-père m’écrit… des pages où il n’est question, ni de lui… ce qui serait la chose la plus intéressante… ni presque de vous, ni de mes amis de là-bas, mais uniquement d’Anatole… la patience m’échappe parfois et je déchire en tout petits morceaux le papier, pour tâcher qu’il ne reste pas de traces de la place que cet ignoble individu aura tenue dans la vie de mon père… Et puis, je me calme… je me dis que papa est vieux, et affaibli, qu’il faut lui pardonner sa désaffection qui n’est peut-être qu’apparente… Vous vous armerez de beaucoup d’indulgence… et vous passerez l’éponge sur Anatole…

— Passons l’éponge ! — dit Olivier — mais elle aura joliment besoin d’être rincée après !…

Un jour, le vieux marquis ayant écrit — au cours d’une de ces fameuses lettres où il ne parlait guère que de son régisseur — que Miche avait été gravement malade, mais que « grâce aux soins merveilleusement intelligents d’Anatole, qui était adroit comme un singe et doux comme une sœur de Charité, la petite fille était rétablie », M. d’Erdéval — voulant rassurer les enfants inquiets — écrivit au docteur Bouvier pour avoir des nouvelles de l’enfant. Et le docteur répondit tout de suite que Miche avait été sérieusement malade, en effet. Il supposait « que ce mauvais drôle d’Anatole » avait dû lui faire peur ou la maltraiter. C’était l’avis de la mère Orson — chassée depuis un an, elle aussi mais qui avait été reprise à la journée pour soigner la petite. Miche était trop faite pour son âge. Elle traversait une crise que sa ner-