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butiait Miche qui assistait à la scène — y se r’vengera en vous faisant du mal…

— Il mourchardera à grand-père… m’en fiche !… pour ce qu’il m’aime à présent, grand-père, ça ne changera pas grand’-chose !…

— Oh ! mais que non ?… qu’y n’le dira point à M. l’marquis !… affirma l’enfant, qui devinait inconsciemment que le palefrenier ne voudrait pas diminuer son prestige, en avouant qu’on lui avait parlé de la sorte — mais y vous fera qué’qu’crasse en d’ssous…

Cette année-là, Jean et Olivier partirent avec joie. M. et Mme d’Erdéval n’aimaient pas Saint-Blaise, mais, d’habitude, les enfants ne trouvaient jamais que le séjour chez grand père durait assez longtemps.

Cette fois, ils montèrent gaiement dans le train qui les emmenait, tandis que leur père, au contraire, quittait pour la première fois le pays Normand avec inquiétude et regret.


VII


Pendant l’hiver qui suivit le séjour à Saint-Blaise, les inquiétudes que causait à M. d’Erdéval la situation de son père, s’aggravèrent très fort.

D’abord, dès son retour à Auteuil, Mme d’Erdéval avait écrit au comte du Vallon, lui disant simplement que son beau-père ayant pris chez lui un homme appelé Anatole Malansson, qui disait avoir été à son service autrefois comme piqueur, elle lui demandait s’il se souvenait de cet homme et pouvait donner quelques renseignements. Et Monsieur du Vallon avait répondu :

« Madame,

» Je ne me souviens pas d’Anatole Malansson, par l’excellente raison qu’il n’a jamais été chez moi.

» J’ai, depuis vingt-deux ans, mon premier piqueur. C’est lui qui tient le livre où sont inscrits tous les hommes, depuis les cochers et les grooms, jusqu’au dernier des palefreniers qui ont été dans mon écurie. Or. je viens de vérifier avec lui ses livres, et de constater que, ni dans les engagements faits au cours de chaque année, ni à l’A ni à l’M de la table où sont réunis, ensuite par ordre alphabétique les noms, celui de Malansson ne figure. Je puis donc vous affirmer, Madame, que cet individu a menti en disant à monsieur votre beau-père avoir été à mon service. Il n’y a qu’un cas où il pourrait avoir dit la vérité, c’est s’il est assez âgé pour avoir servi chez moi il a plus de vingt-deux ans. Encore aurait-il un certificat à montrer, car jamais un homme — sauf s’il était une notoire canaille — n’est sorti de mon écurie sans un certificat signé de moi.

» M. d’Erdéval fera donc sagement de se méfier de cet Anatole, et vous de ne pas lui confier votre chère Cerise qui, si je ne m’abuse, ne doit pas être très aimable à panser.

» Daignez agréer, Madame, l’hommage de mon profond respect.

» Vallon de Gandoz. »

— Eh bien ?… — avait dit Jean en voyant la lettre — je pense que vous allez envoyer ça lestement à grand-père ?…

— Mais tu es fou !… — fit Mme d’Erdéval avec effroi — ça inquiéterait et tourmenterait pour rien ton pauvre grand-père qui est si ravi !…

— Sans compter… — appuya Olivier — qu’Anatole persuaderait sans peine à grand père que c’est M. du Vallon qui ment, et que grand-père nous en voudrait à mort…

Jean, qui tenait à son idée, protesta :

— Mais c’est idiot !… alors pourquoi maman a-t-elle été embêter c’pauv’monsieur ?…

— Mais… pour savoir…

— Vous aviez besoin qu’on vous certifie qu’Anatole est sûrement un menteur et vrai semblablement une canaille pour savoir ?… ben, pas moi !… il y a de ces choses qui s’imposent d’elles-mêmes par leur clarté !… Ah !… à propos !… vous savez que Mme Devilliers reçoit des lettres de menaces épouvantables et d’injures ignobles de ce saligaud-là ?…

— Comment ça ?… depuis quand ?…

— Oh ! depuis toujours !… c’est-à-dire depuis qu’il est venu à la maison avec Paladin. Quand il est parti, il l’avait déjà menacée, en lui disant qu’elle aurait de ses nouvelles…

— Eh bien ?…

— Ben, il lui en donne, de ses nouvelles !… les lettres sont anonymes, naturellement !… elles viennent tantôt de Saint-Lô, tantôt de Granville… Elle n’a jamais osé vous le dire pour ne pas vous tracasser encore plus, mais elle a une frousse intense, et jamais, jamais, elle ne retournera à Saint-Blaise, vous savez bien ?…

— Comment, jamais ?…

— Jamais, tant que M. Anatole y sera, s’entend !…

— Il vaudrait peut-être mieux… — proposa M. d’Erdéval — ne pas aller cette année chez papa ?… Je lui dirais la vérité…

— Non… — dit la comtesse — je n’ai déjà