Page:Gyp - Miche.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah !… — demanda M. d’Erdéval surpris — tu le sais bien ?…

Et intéressé toujours par l’âme des enfants, curieux de connaître le point de comparaison de la petite, il questionna :

— Qui est-ce qui est jolie à ton avis, Miche ?

L’enfant répondit après avoir réfléchi :

— C’est pas Mme la baronne de Guerville, toujours !…

Le comte se mit à rire, tandis que Cerisy disait, convaincu :

— Pas jolie !… Mme de Guerville !… ben, elle est difficile, la gosse !… je sais bien qu’elle en a le droit !…

Et se tournant vers Erdéval, il ajouta à demi-voix :

— Car elle est épatamment belle, cette gamine-là !… oui, c’est entendu… vous ne voulez pas que je le lui dise… mais il y en a d’autres qui se chargeront de ça, allez !… vous pouvez y compter… et elle aussi !… reluquez-moi ce profil, Erdéval ?… et ces cheveux, et cette tournure… est-ce campé ?… et ces pieds ?… avez-vous jamais vu une petite Normande avec des pieds pareils, vous ?… moi pas !…

— Miche ?… — demanda le comte, qui voulait mettre fin à l’énumération dont la petite fille ne perdait pas un mot, de ces perfections physiques — est-ce que tu sais comment s’appelle Anatole, toi ?…

Miche eut un geste craintif :

— Oh !… monsieur le comte !… faut pas dire Anatole comme ça !… M. l’marquis s’met en colère quand on dit Anatole tout court… faut dire monsieur…

M. d’Erdéval riait. L’enfant le regarda effarée :

— Oh ! mais, vous savez, c’est pas pour rire c’que j’vous dis !… les aut’s domestiques du château ont eu d’la peine à s’y faire, vous pensez bien… vu qu’ils avaient l’habitude de l’appeler tout court Anatole quand c’est qu’il était valet d’écurie… alors, M. l’marquis en a renvoyé deux à qui qu’Anatole échappait quéqu’fois sans monsieur…

— Je n’oublierai pas tes recommandations, mon petit !… — dit le comte touché au fond de la sollicitude de l’enfant — mais réponds moi maintenant ?… Sais-tu, oui ou non, comment s’appelle M. Anatole ?… comprends tu ?… toi, tu t’appelles Micheline Fanel… eh bien…

— Oh ! j’comprends bien, monsieur l’comte, c’est que j’cherchais… ça me r’venait plus !… y s’appelle Malansson…

M. d’Erdéval prit dans sa poche un crayon et écrivit le nom sur sa manchette en disant :

— Je te remercie, Miche…

La petite fille se sauvait en courant, il la rappelait :

— Dis donc ?… à propos ?… les sœurs sont elles un peu plus contentes de toi ?…

— J’suis point méchante, monsieur l’comte

— Je le sais bien… et toi, tu sais bien que ce n’est pas ça que je te demande !… Travailles-tu mieux… sais-tu lire ?…

— . . . . . . . . .

— Tu ne réponds rien !… tu ne sais pas ?… non ?… pas du tout ?… c’est honteux ! quel âge as-tu ?…

— Neuf ans et demi, monsieur l’comte !

— Ah !… — fit Cerisy stupéfait — elle est immense !… je croyais qu’elle avait treize ans, moi !…

— Elle en a trois pour la raison… — expliqua M. d’Erdéval — elle ne veut rien apprendre… rien !… à quoi es-tu bonne alors ?…

— J’travaille, monsieur l’comte !… j’travaille d’mes mains… pac’que les Sœurs… et l’docteur Bouvier aussi… ont dit qu’y fallait laisser ma tête tranquille…

— Le docteur Bouvier ?… j’ai bien peur que tu ne le roules comme les sœurs, le docteur !… Enfin !… à quoi travailles-tu ?… aux champs ?… tu n’es guère forte encore !…

— Que si donc !… — fit Miche en redressant son corps souple — j’la suis ben assez pour travailler aux champs… mais de c’moment-ci j’y travaille point… M. l’marquis m’fait arranger la bibliothèque…

— Arranger la bibliothèque !… — dit le comte ahuri — ah ! bien !… tu en as pour cent ans, Miche !…

— P’t’êt’pas si tant longtemps qu’ça, monsieur l’comte !… mais ça va tout d’même pas vite…

— Ce que je me demande, c’est comment tu fais pour arranger des livres sans savoir lire… Ça ne doit pas être commode !…

Miche rougit violemment et ne répondit pas.

— Ah !… tu commences à avoir honte !… ça n’est pas malheureux !… Qu’est-ce que tu regardes ?…

Un point noir apparaissait au loin sur la route. Sans répondre, Miche se lança comme une balle dans un sentier. On la vit reparaître à quelques mètres, traverser l’avenue en deux bonds, et filer en flèche vers la route.

— Qu’est-ce que diable elle a vu ?… — demanda Cerisy en posant une main au-dessus de ses yeux pour les abriter du soleil.

— Ça doit être la voiture qui amène les enfants…

Un très vieux paysan arrivait dans le chemin. Il salua et dit :

— Oui, c’est la voiture qu’est allée chercher ces messieurs à la gare…