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de donner les explications les moins intéressantes !… il dit : « Moi, et monsieur le marquis », lorsqu’il s’agit des choses générales… et pour le détail : « Moi, j’ai ordonné… Moi, j’ai fait faire… Moi, je dis… Moi, je prends !… toujours moi !… ah ! nom de nom !… j’ai ce « moi » dans les oreilles !… Ce que je l’ai entendu de fols, ce matin !…

Comme M. d’Erdéval restait silencieux, Cerisy s’excusa gentiment :

— Je vous demande pardon de vous parler de ça !… ça vous est peut-être désagréable ?…

— Pas du tout !… ça ne m’est pas désagréable que vous me parliez de cet individu !… mais ça m’embête qu’il soit là, dans d’aussi invraisemblables conditions…

— Vous ne vous attendiez pas à le trouver, n’est-ce pas ?… C’est Marthe qui s’est rendu compte de ça hier soir, imaginez-vous ?… les vieilles filles, ça voit tout !… Quand nous avons été seuls, elle m’a dit : « Tu sais, ton ami Erdéval vient d’avoir une surprise désagréable… il ne s’attendait pas à trouver cet homme-là chez son père… »

— Je m’attendais bien à l’y trouver… mais comme cocher seulement !… ce qui était déjà une jolie élévation, étant donné que papa l’a pris comme palefrenier et l’a envoyé comme tel chez moi pour y amener un cheval…

— Il ne me fait pas l’effet d’entendre grand’chose aux chevaux, entre nous soit dit !… Et où diable a-t-il déniché cet olibrius, votre père ?…

— À l’école de dressage de Saint-Lô, où il était palefrenier… à ce que nous a écrit papa… qui, depuis, nous a dit qu’il y était piqueur…

— Piqueur ?… ah ! elle est bien bonne !… moi qui passe à l’école de dressage la partie de mon existence que je ne passe pas à la chasse, je connais et ai connu tous les piqueurs… et je vous garantis que cet homme là n’a jamais été à l’École… sinon dans les dessous… car autrement je connaîtrais au moins sa bobine !…

— Une vilaine bobine !…

— Ah ! fichtre oui !… moi, vous savez, à votre place, je ne serais pas du tout tranquille de sentir ça chez moi…

— Chez moi… il n’y ferait pas long feu !… mais chez mon père, ça m’inquiète horriblement… Que l’homme ait été palefrenier à l’école de dressage de Saint-Lo, ça ne fait pas question… mais il a dit à papa avoir été longtemps piqueur chez du Vallon…

— Chez du Vallon ?… avec une tête et un ventre comme ça !… ah ! non !… elle est bonne aussi, celle-là !…

— Le ventre était moins gros avant Saint-Blaise… et la tête avant la barbe était moins infecte !… guère !… mais enfin, un peu moins tout de même !… Seulement j’ai une autre raison de supposer qu’il n’a pas été chez du Vallon ou, que s’il y a été, c’est aussi comme palefrenier, car il n’a même pas entrevu la sellerie…

— Comment ça ?… — Il n’avait jamais vu de bride cousue !… et il est venu déclarer avec autorité à ma femme « qu’on ne montait pas avec une bride comme ça !… »

— Vous ne savez pas ?… si j’étais vous, je lui écrirais !…

— À qui ?…

— À du Vallon… il saura bien si cet homme-là a été à son service…

— Croyez-vous ?… il doit passer tant et tant d’hommes dans une écurie de quinze ou vingt chevaux ?…

— C’est égal… j’écrirais !…

— Eh bien, Marguerite écrira… elle connaît plus que moi du Vallon qu’elle rencontre à cheval le matin… seulement si papa apprend jamais ça…

— Eh bien ?…

— Ben, il sera furieux !…

— Comment ?… furieux parce que vous aurez demandé à un monsieur — sans autres commentaires — s’il a eu à son service le nommé Anatole ?… À propos !… savez-vous comment il s’appelle seulement ?…

— Non… mais tous les domestiques le savent… et même, sans aller si loin…

Et M. d’Erdéval appela :

— Eh !… Miche !…

La petite accourut toute souriante.

— À la bonne heure !… je retrouve ma Miche !… — dit le comte en caressant les cheveux moirés de la petite fille. — Dis moi… qu’est-ce que tu faisais dans l’avenue, Miche ?…

— J’attendais !…

— Quoi ?…

— Pour quand arrivera M. Jean !…

— Elle adore Jean qui a obtenu de son, grand-père qu’il la prenne à Saint-Blaise quand sa mère est morte… — expliqua M. d’Erdéval.

— Bon sang !… qu’elle est jolie !… — fit Cerisy qui regardait l’enfant d’un air ahuri.

Le comte craignait que Miche n’eût, en même temps que la beauté, le tempérament de la Florine. Il préférait qu’on ne parlât pas trop devant elle de sa beauté. Il dit avec indifférence et sans avoir l’air d’attacher d’importance à persuader ou non l’enfant :

— Miche est une bonne petite fille !… très bonne !… et très intelligente aussi… mais elle n’est pas jolie…

— Je le sais bien !… — fit tristement Miche.