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que j’sais d’quoi y vous en veut, monsieur Jean !…

— Ah ! voyons un peu de quoi il m’en veut, Miche ?…

— Vous l’embêtez que j’crois, qu’vous êtes toujours à courir au Mesnil… et tout partout… après Mme la baronne d’Guerville !

— Tu es une petite sotte !… dit Jean agacé.

Il sentait qu’il serait ridicule si on devinait son admiration pour l’élégante voisine. Car si — comme le disait très justement le docteur Bouvier — son aspect était celui d’un garçon de vingt ans, ses longs bras noueux, ses pieds qui faisaient songer aux pattes d’un jeune chien de chasse, et ses grands doigts souvent tachés d’encre, n’étaient guère d’un amoureux.

Mais personne, pas même Olivier — observateur plutôt narquois — ne soupçonnait ce que Miche avait découvert. Jean pensa malgré lui aux avertissements du docteur, et une brusque curiosité le poussa questionner la petite. Il demanda :

— Pourquoi fais-tu une lippe, Miche ?…

— J’fais pas d’lippe !… répondit l’enfant, dont le visage s’épanouit à la voix de Jean.

— Je ne voulais pas te gronder, tu sais bien… mais seulement te montrer qu’il n’est pas gentil d’inventer des histoires comme tu le fais.

— J’l’ai point fait !…

— Si ! pourquoi dis-tu que je cours partout après Mme de Guerville ?…

— Pac’que c’est vrai !…

— Tu sais bien que non !…

— J’sais bien qu’si !… et quand c’est qu’vous courez pas après, vous pensez à elle, monsieur Jean !…

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?…

— Tout, pardi !… vous savez où qu’c’est qu’elle passe à cheval sur les midi… et faut toujours qu’vous couriez pour la saluer… malgré que l’second coup du déjeuner est sonné et qu’vous savez qu’vous allez être attrapé par monsieur l’comte…

— C’est tout ?…

— Non, c’est point tout !..

— Alors, continue, Miche, tu m’intéresses !… dit Jean en riant.

Mais la petite, qui entendit fort bien que ce rire sonnait faux, répliqua :

— Point tant qu’ça, que j’vous intéresse !…

— Eh bien ! peu importe !… que ça m’intéresse ou non, je veux que tu continues… As-tu compris ?…

— Oui… j’ai compris qu’c’est qu’vous êtes en colère !…

— Pas du tout !… mais je veux savoir ce que tu as encore remarqué… ou plutôt cru remarquer ?…

— Ben, tout, que j’vous dis !…

— Mais quoi, tout ? Je salue Mme de Guerville quand elle passe… Et puis après ?…

— Après, vous êtes toujou à guetter pour savoir si y a pas un’commission pour le Mesnil… et quand y en a un vous vous lancez dessus pour la faire !… ainsi… l’aut’jour, les poires qu’vous avez porté l’panier !… et, un’bride, un aut’fois ?…

— J’ai pu faire des courses au Mesnil sans que…

— Pourquoi qu’c’est alors qu’vous les faites pas dans les aut’s châteaux, les courses ?

— . . . . . . . . . . .

— Vous voyez bien ? Et quand vous d’vez dîner au Mesnil, donc !… c’en est, des préparations… Vous allez d’mander des citrons à la cuisine pour ôter vot’encre… et nous n’jouons point dans le l’bois rapport aux griffes !…

— Comment, rapport aux griffes ?…

— Oui. Dimanche que j’vous d’mandais d’jouer nous cacher… v’s’avez point voulu… qu’vous aviez peur d’vous griffer la figure !

— Dame !… quand on dîne dehors on n’aime pas à avoir la figure couverte de rougeurs !…

— Ça serait pourtant un’manière d’lui ressembler, Mme la baronne d’Guerville !. j’sais bien que, elle, c’est pas des griffes qu’elle a sur sa figure, c’est des boutons !…

— Elle n’a pas de boutons ! et tu voudrais bien lui ressembler !…

— Non ! dit Miche avec sincérité j’voudrais point pour le plaisi… mais j’voudrais tout d’même, pac’que vous m’aimeriez mieux, monsieur Jean !…

— Tu divagues !… je t’aime beaucoup plus que Mme de Guerville !…

— Ben j’aimerais mieux que vous m’aimiez moins qu’elle, mais comme elle…

Une voiture apparaissait au bas de l’avenue. Jean toucha son col et sa cravate et regarda furtivement ses mains. Miche vit le mouvement, aperçut au loin la voiture et murmura :

— La v’là !… c’est la raison pourquoi qu’vous r’gardez vos ongles, pas, monsieur Jean ?..

Elle avait parlé sur un ton triste et comique qui fit rire Jean. Alors, d’un large bond, elle s’élança dans le taillis de lilas o elle disparut.

— Miche !… — appela-t’il — Miche !… viens ici !…

Un bruit de branches froisses lui répondit et, comme la voiture approchait, il ne s’attarda pas chercher l’enfant.

— Bonjour, Jean !… cria Mme de Guer-